Le Mariage forcé de Molière et Lully à Nantes
La Cité des Congrès a certes la forme d’un théâtre à l’italienne contemporain, mais cette salle de 2.000 places est loin d’être un écrin comme le Théâtre Graslin, où fut donné Le Malade imaginaire, premier épisode de cette trilogie Molière proposée par Les Malins Plaisirs, Le Concert Spirituel et la Compagnie de danse l’Eventail (Le Sicilien ou l'Amour peintre refermera cette trilogie dans une tournée de mars à mai). Prendre ses repères au niveau acoustique et sonore dans une telle salle n’est pas chose aisée aussi bien pour les acteurs que les chanteurs, mais ces artistes rodés aux changements de scène s’appuient sur la complicité et complémentarité de tous (acteurs, musiciens et danseurs).
Présentée comme "la deuxième comédie-ballet composée par Molière et première véritable collaboration avec Lully" trois ans après Les Fâcheux de 1661, Le Mariage forcé est ici représenté avec une scénographie (signée Claire Niquet) aussi efficace, évidente et divertissante que cette œuvre. Le décor léger, constitué d’une toile de fond représentant des maisons au dessin à peine esquissé, se complète de boîtes mobiles et transformables devenant maisons d’habitation ou cirque ambulant, avec les lumières claires de Carlos Perez. Le tout laisse la part belle au jeu des acteurs et à la danse, dans un esprit de théâtre de tréteaux en enchaînant les tableaux sans temps morts et avec peu d’accessoires (mais non sans amusements).
Les costumes signés Erick Plaza-Cochet éblouissent l’œil par leur grande fantaisie et contribuent au caractère de chaque scène : philosophes grandiloquents aux allures de savants loufoques, saltimbanques escortés de leur nounours rose (incarné par le danseur Romain Di Fazio), magicien, espagnols, jusqu'au maître à danser (sorte d’avatar de Rudolf Noureev).
Vincent Tavernier réinvente donc un propos visuel en se déconnectant totalement de l’époque de Louis XIV mais en gardant l’esprit de la farce propre à Molière. Il se concentre sur le personnage de Sganarelle, l’amoureux trompé interprété avec maestria par Laurent Prévôt qui force le trait sans aucune vulgarité ni outrance, déclenchant une joie communicative. Le personnage redevient un caractère de farce intemporel, comme pour le Sganarelle du Médecin malgré lui (Gounod) par le même metteur en scène à l’Opéra de Rennes en 2017.
La chorégraphie se mêle aussi astucieusement à la pièce. Sur les rythmes caractéristiques de la musique baroque, Marie-Geneviève Massé revisite les codes de la danse de ce même style avec une créativité et une fantaisie que les danseurs restituent avec dextérité et coordination.
La musique sert le plus souvent de support à ces danses. L’orchestre constitué d’une dizaine de musiciens, sous la conduite du violoniste Stéphan Dudermel sonne rond et fait preuve d’une grande précision rythmique mais reste un peu sage et mesuré en terme de variété dans les couleurs et textures sonores (notamment pour le concert espagnol reconstitué par François Saint-Yves).
Sur scène, Lucie Edel interprète la Beauté et une Espagnole. Son timbre de mezzo est séduisant et son jeu scénique gracieux. La messa di voce (conduites de lignes chantées) et le vibrato sont travaillés, l’ornementation est précise mais l’homogénéité des registres est fragilisée par des graves moins soutenus. Préoccupée par la rondeur de sa voix et la ligne mélodique, plus que par l’articulation, le texte est peu compréhensible.
Yannis François interprète les rôles du magicien (intermède des Saltimbanques) et d’un espagnol (dernier intermède). Son élégante présence scénique renforce son aisance dans les scènes de groupe. La voix fluctue entre la basse bouffe (idéale pour le rôle d’un magicien) et la basse profonde avec le soin apporté à l’émission des graves. Il manque toutefois l’éclairage vers la partie haute de la tessiture et une agilité plus fluide entre les deux registres pour assurer la compréhension nécessaire. L’émission manque aussi un peu de projection pour dépasser l’orchestre qui ne prend pas assez en compte l’équilibre voix/instrument dans cette salle et conserve une texture sonore identique à celle choisie pour la danse.
« Ce mariage doit être heureux, car il donne de la joie à tout le monde, et je fais rire tous ceux à qui j’en parle » déclare le naïf Sganarelle. C’est effectivement bel et bien le cas pour ce public venu en grand nombre, riant beaucoup tout au long du spectacle avant d'applaudir avec enthousiasme et reconnaissance.