Réjouissante cure de rajeunissement pour The Fairy Queen à Tourcoing
Les options tant scéniques que musicales de cette production, présentées dans notre rubrique Air du Jour en 10 épisodes successifs avec ses principaux artisans et ses interprètes promettaient un spectacle placé sous le signe de l’émerveillement et de l’illusion. Le metteur en scène Jean-Philippe Desrousseaux tient toutes ces promesses en dévoilant un spectacle tonique et drôle, empli de surprises et de poésie. Dans le cadre des ruines de la Cathédrale de Coventry, un groupe d’artisans s’apprêtant à jouer une comédie se distribuent les rôles avant d’être rejoints par un groupe de visiteurs qui se joignent à leur représentation. Pour The Fairy Queen, semi-opéra mêlant chant, comédie et danse, la difficulté réside dans cette juxtaposition des genres au risque quelquefois d’une dissociation fâcheuse. Grâce à ses idées pétillantes et à une troupe qui associe de multiples talents, Jean-Philippe Desrousseaux impulse une réjouissante cohérence d’ensemble au spectacle qui conserve sur toute la durée son dynamisme et sa saveur. Les mésaventures de Titania, d’Obéron et de leur suite bigarrée, directement inspirées du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, s’entremêlent avec celles des comédiens de façon naturelle dans une suite de scènes brillantes et échevelées.
Plus qu’en forme de clin d’œil, le metteur en scène a souhaité inclure au spectacle quelques figures iconiques du pouvoir britannique. Vêtue d’un ensemble couleur fuchsia particulièrement caractéristique de sa garde-robe habituelle, la Reine Elisabeth II (incarnée par la choriste Chantal Cousin) occupe la scène de toute sa majesté un rien placide, saluant la salle de la main comme si elle se trouvait en son carrosse d’apparat et jetant un cri d’orfraie lorsque son Premier ministre, Boris Johnson, lui remet le texte du Brexit. Margaret Thatcher cramponnée à son fameux sac à main duquel elle sort avec âpreté sa théière et sa tasse assortie (avant d’être recouverte de sachets de thé par toute la troupe au cinquième acte), est incarnée par le danseur et chorégraphe Steven Player, spécialiste de la danse baroque, qui effectue ici un numéro éblouissant, les danses les plus endiablées se succédant les unes aux autres.
S’y ajoutent Lady Di, double de Puck ou un Prince Charles (a priori le fils de Titania) représenté en traîneau à roulettes. Ce côté gentiment iconoclaste donne un caractère particulier à une mise en scène qui enchaîne la fantaisie et l’inventivité entre théâtre de marionnettes façon guignol, ombres chinoises illustrant une party fine entre Titania et l’âne à laquelle Margaret Thatcher vient s’ajouter, le déploiement d’étendards ou ces fumées de stupéfiants qui scandalisent Sa Majesté.
Le public rit beaucoup et sans retenue. Il saluera de même sans retenue les artistes et toute l’équipe scénique : François-Xavier Guinnepain pour la scénographie et les lumières, Alice Touvet pour l’inventivité permanente des costumes, Petr et Katia Rezac pour les marionnettes, mais aussi le comédien Vincent Violette qui dans les rôles de Coing et de Démétrius entraîne dans son sillage ses partenaires de comédie.
Alexis Kossenko, pour sa part, a souhaité interroger la façon dont la musique de Purcell sonnait à la fin du XVIIe siècle. S’appuyant sur de nouvelles recherches musicologiques et comme il nous l’expliquait, il a modifié certains paramètres fondamentaux de l’orchestre et adopté un diapason grave, un ton en-dessous du diapason moderne. Par ailleurs, il a réduit les interventions du continuo -qui se trouve installé sur scène- au profit de l’orchestre en lui-même. Placé à la tête de l’ensemble désormais constitué des Ambassadeurs et de La Grande Ecurie, Alexis Kossenko porte donc sur les fonts baptismaux avec conviction et une pleine sincérité cette version moins italianisante, moins brillante aussi au niveau du résultat d’ensemble, de The Fairy Queen. Il s’ensuit un léger décalage entre scène et orchestre, notamment dû aux moindres résonances acoustiques du Théâtre Raymond Devos. Mais cette approche musicale fort intéressante s’inscrit bien dans les objectifs esthétiques et musicologiques portés par l’Atelier Lyrique de Tourcoing créé par Jean-Claude Malgoire, grand précurseur du renouveau du répertoire baroque.
Dans le double rôle de Boris Johnson -plus vrai que nature au plan strictement physique- et d’Egeus, Alain Buet fait résonner sa voix de baryton au timbre profond et sonore, livrant une scène d’ivresse fort convaincue au premier acte. Obéron est incarné par le ténor / haute-contre Robert Getchell dont la voix au timbre clair se distingue bien dans les ensembles, mais peine un peu à se déployer dans les parties solistes. Benedict Hymas bascule avec humour et d’une voix de ténor léger du personnage de Lady Di à celui du bien maladroit Puck. Mezzo-soprano affirmée quoiqu’un rien fragile parfois, au phrasé étudié, Coline Dutilleul s’impose dans les rôles d’une jeune étudiante anglaise courtement vêtue et de Titania dont elle possède le charme ambigu. Elle déploie la longue plainte de Titania “O, let me weep”, avec une expressivité touchante qui atteint le cœur, accompagnée par la superbe partie de hautbois rétablie ici par Alexis Kossenko.
Dominant le plateau vocal, la soprano Rachel Redmond -la Bonne- offre toute la clarté de son timbre, son sens du phrasé et la simple beauté de son chant libre de toute entrave et tout empli de souplesse. Tous les interprètes se chargent avec l’Ensemble vocal de l’Atelier Lyrique des parties du chœur qui de fait prend toute sa juste place.
Malgré la relative longueur du spectacle (3h15 environ), le public présent maintient une attention de chaque instant, riant ou s’esclaffant à de nombreux moments, en ces temps moroses, aux meilleures scènes et prestations d’un spectacle appelé à essaimer et qui se termine sur scène par le Couronnement du buste de Shakespeare.