La Walkyrie combattive en semi-scénique à l’Opéra de Marseille
L’Opéra de Marseille possède une tradition wagnérienne bien établie depuis le début du siècle dernier. À l'origine, Maurice Xiberras, Directeur de la maison, avait prévu la reprise de la production de La Walkyrie inaugurée sur cette même scène en 2007 dans la mise en scène de Charles Roubaud. Las, la pandémie de Covid-19 est venue contrecarrer ce projet. Le public marseillais assiste donc à une version semi-scénique de l’ouvrage, en fin de compte assez cohérente.
Sur la base de son travail antérieur, Charles Roubaud propose au niveau de l’avant-scène (l’orchestre réduit occupant la scène proprement dite), une approche resserrée de l’action, dénuée de tout décorum superflu. Les armes, notamment la lance de Wotan, ne sont que suggérées (notamment en effets vidéos).
L’essentiel vise à mettre en valeur les interprètes en leur permettant de démontrer leurs capacités à incarner ces personnages complexes. Ainsi, proches du public, leur tempérament dramatique se révèle-t-il sans affect, ce au niveau de tous les chanteurs présents. Ces derniers doivent par ailleurs composer avec les deux écrans de télévision placés au niveau du balcon leur permettant de suivre en direct les indications du chef d’orchestre placé derrière eux : ils y parviennent tous avec professionnalisme.
Les projections vidéo fixes ou animées élaborées par Camille Lebourges sur le tulle séparant les solistes et les interprètes viennent circonscrire les différents lieux de l’action : des troncs d’arbres menaçants au 1er acte, un Walhalla déjà en décadence à l’acte 2, des branches emmêlées puis un amoncellement de rochers au dernier acte suivi d’un embrasement impressionnant créé par Marc Delamézière, chargé des lumières. Les costumes de Katia Duflot, évoluant entre les époques, mais plus précis pour les Walkyries avec un bustier en forme d’armure, concourent à la complétude visuelle d’ensemble du spectacle.
Au plan strictement orchestral, le choix s’est porté sur la version de l’ouvrage pour orchestre de taille moyenne dans l’arrangement effectué par le chef d’orchestre, compositeur et musicologue allemand, Eberhard Kloke, qui a par ailleurs retraité l’ensemble des quatre ouvrages constituant la Tétralogie. Le chef Adrian Prabava, remplaçant juste avant les répétitions avec orchestre Lawrence Foster souffrant, puise avec efficacité et justesse à cette source, avec un tempo cependant un peu ralenti à plusieurs moments. Certains pupitres amoindris dans cette version (cordes et cuivres notamment) demanderaient à être confortés pour apporter plus de plénitudes. De fait, la puissance sonore attendue aux moments paroxysmiques, notamment au cours de l’affrontement Wotan/Fricka ou lors de la Chevauchée des Walkyries, fait quelque peu défaut. Les parties plus intimes perdent cependant moins en relief, tout particulièrement lors de l’annonce par Brünnhilde de la mort de Siegmund qui conserve ici toute sa dimension expressive.
Après Marie de Wozzeck tout récemment au Théâtre du Capitole de Toulouse, Sophie Koch aborde le rôle de Sieglinde pour la première fois (après avoir marqué les esprits en Fricka il y a quelques années à l’Opéra de Paris). Avec son timbre qui offre richesse et maturité, un grave mordoré et une projection d’ensemble, elle offre un portrait de femme sensuelle aux facettes multiples, passant de l’épouse meurtrie à l’amoureuse enflammée dans une conviction totale et une présence théâtrale de fière allure.
Elle trouve en Nikolaï Schukoff un Siegmund de même gabarit. Le ténor autrichien, comédien vif et puissant, déploie une voix épanouie, claire et timbrée, pourtant emplie de gravité, aux aigus glorieux –ses Wälse! Wälse! conquérants sont détonants en puissance et en tenue.
Nicolas Courjal incarne un Hunding maltraitant, dangereux et assurément brutal. Sa voix de basse, sans posséder le caractère caverneux d’autres Hunding assurément plus monolithiques, domine sa partie avec acuité et une ligne de chant qui ne cède jamais devant les difficultés de ce rôle qui n’appelle aucune sympathie.
Samuel Youn, habitué du rôle de Wotan, laisse s’épanouir une voix particulièrement mordante, pleine d’une juste ardeur et au grain attachant. Pour autant, la fatigue se fait perceptible lors de la scène finale des adieux à sa chère fille Brünnhilde et le matériau vocal s’amenuise alors.
Remplaçant Béatrice Uria-Monzon initialement prévue mais souffrante, Aude Extrémo reprend le rôle de Fricka qu'elle chantait à Bordeaux. Assurément, la voix apparaît puissante et solide, arrogante même, et franchit toutes les étapes. Mais sa prestation tout d’une pièce laisse de côté les nuances et le déploiement des couleurs attendues dans ce rôle qui requiert de la subtilité.
Enfin, la Brünnhilde de Petra Lang fait désormais valoir ses limites. Après un cri de guerre hasardeux, aux aigus douloureux, la voix semble comme s’échauffer avec lenteur ensuite, retrouvant peu à peu la stabilité et puissance d’antan sans parvenir véritablement à revenir à l’équilibre. Le groupe des huit Walkyries apparaît efficace et en place sans qu’il soit possible de vraiment démêler les prestations individuelles (de plus, leur intervention est écourtée).
Le public marseillais semble ravi de retrouver l’ouvrage de Richard Wagner et les artistes sont salués avec toute la chaleur attendue.