La Cenerentola à Clermont-Ferrand, joyeuse et théâtrale folie
Peu après La Sonnambula (notre compte-rendu), une autre ambiance, bien plus joyeuse et folâtre, gagne la scène du Clermont Auvergne Opéra, même s’il est toujours question de rêve éveillé. Celui en l’espèce de cette pauvre servante méprisée par sa famille adoptive mais qui devient princesse (Angelina et Ramiro se tenant la main dans la scène finale et l'allégresse générale, devant les choristes pour parterre de témoins).
De cette histoire, qu’il rapproche ici davantage du vaudeville que du conte féérique, Clément Poirée livre une vision pétillante et fort rythmée, avec une mise en scène qui fait la part belle à la simplicité matérielle, certes, mais surtout aux couleurs vives et aux multiples effets comiques. Le plateau consiste en un intérieur de théâtre ceint par des portes à hublots d’où chacun va et vient gaiement, avec au centre des tabourets où répètent des musiciens (le chœur, en fait) qui se trouvent évidemment malmenés par le maître des lieux, el director Don Magnifico.
Pas d’apparats inutiles dans cette scénographie où le “tourbillon onirique” envisagé par le metteur en scène vaut surtout par le fol et permanent entrain des personnages, et par la vivacité de couleurs qui viennent trancher avec la relative froideur des éléments disposés sur scène. Des couleurs éclatantes qui émanent des costumes cousus par Hanna Sjödin, et qui font ici la synthèse de différentes époques : des temps anciens, avec des ces robes battantes (Clorinda, Tisbé) et ces redingotes (Dandini), et des temps plus modernes, avec ces costumes trois pièces (Alidoro) ou ces jupes façon hôtesse de l’air que portent les deux sœurs lors de leur entrée en scène. Couleurs vives aussi dans les lumières de Carlos Perez, toujours projetées et dosées fort à propos, comme dans cette scène de l'orage pour le moins inventive où, après qu’un déferlement de lumières a conduit à une coupure de courant, les personnages s’illuminent les un après les autres le visage avec une lampe torche pour le fameux sextuor “Questo è un nodo avviluppato”, qui n’en devient que plus cocasse.
Dans cette version très théâtralisée, où des intermèdes en français (réécrits par Clément Poirée, dont il s'agit de la première mise en scène lyrique) viennent faire le liant entre les scènes (sans plus-value évidente, tant l’intrigue tend à se comprendre assez aisément), Lamia Beuque porte le rôle-titre avec un investissement scénique complet et une voix venant puiser dans des ressources considérables. L’émission est aisée et sonore sur toute l’amplitude de la tessiture, avec des graves aussi ardents que l’aigu est éclatant, et un timbre d’une rondeur qui jamais ne s’étiole. Avec sa robe de princesse couleur cendre, clin d’œil évident (et scintillant) à ce statut de servante dont elle veut s’extraire, cette Angelina possède une palette de couleurs vocales lui permettant d’osciller avec une même assurance entre tristesse, candeur et jovialité. Le fameux “Non più mesta” est le point d’orgue de sa tessiture colorature.
Ses deux demi-sœurs, dans leurs robes aux couleurs flashys, se démarquent elles aussi par leur jeu de scène follement pétillant, dont la vis comica s'exprime à maintes reprises. Morgane Bertrand chante Clorinda avec un soprano clair et virtuose, épousant avec bonheur les traits de risible versatilité dévolus au rôle. Le personnage de Tisbé est servi par le mezzo chaud et assuré de Lucile Verbizier.
En Don Magnifico qui s’improvise ici directeur de théâtre dépassé par les événements, Franck Leguérinel se régale à tirer gaiement et généreusement son personnage jusqu’à la caricature du patriarche vieux jeu, grognard et paresseux. Solide en projection, homogène sur l’étendue des registres, cette voix de baryton en impose dans l'ambitus de basse, avec pour ne rien gâcher une vitesse de diction taillée pour le registre rossinien.
Pierre-Emmanuel Roubet, troquant longtemps ses habits de noblesse pour un bleu de travail, est un énergique et séduisant Don Ramiro, avec une voix de ténor d’autant plus généreuse en sonorité qu’elle s’approche de l’aigu. L’incontournable cabalette “Si, ritrovarla io giuro” est une promesse faite avec la juste conviction, et non sans une tendresse certaine qu’amplifierait sans doute un mezza voce plus prononcé.
La jeunesse du visage d’Aimery Lefèvre est en contraste saisissant avec la maturité d’un instrument de baryton fort râblé ici prêté au rôle d’un Dandini certes balourd dans l’art de la séduction, mais porté par sa prestance vocale. Quant à Matthieu Toulouse, il offre au personnage d’Alidoro la tenue d’une voix de basse creusée et ardemment timbrée.
Enfin, la compagnie Opéra Eclaté mobilise des troupes qui se mettent au diapason de l’alacrité générale. Tantôt musiciens et techniciens de théâtre, tantôt témoins de mariage, les six choristes dégagent une énergie gestuelle ainsi qu’une homogénéité sonore. Quant à la vingtaine de musiciens de l’orchestre, ils répondent avec tonus et application à la gestuelle précise du chef Gaspard Brécourt, les échanges entre pupitres comme la superposition de leurs parties parvenant idéalement à restituer le piquant tourbillon attendu. Après trois heures d’un spectacle au fol entrain, le public a encore toute l’énergie nécessaire pour traduire son bonheur par une chaleureuse ovation.