Du baroque à Barbara : Philippe Jaroussky et Thibaut Garcia au TCE
Ce soir, le spectateur voyage d’un pays et d’un répertoire à l’autre, emporté par les accords de la guitare et la voix cristalline du contre-ténor -un curieux mélange, comme ne manque pas de le souligner lui-même Philippe Jaroussky alors que, sur scène, il présente le concert. En témoigne la variété des pièces, allant du baroque au Lied, du bel canto à la musique brésilienne et même à la variété française. Le concert est introduit par À sa guitare, de Poulenc, auquel fait référence le titre du nouvel album des deux artistes.
À sa guitare, Thibaut Garcia reprend donc des morceaux pour piano, mais aussi pour orchestre, tels "When I am laid in Earth" du Didon et Énée de Purcell ou "Di tanti palpiti" du Tancredi de Rossini -surprenant ici dans cette cavatine réduite à un unique instrument, mais la musique vive et allègre de Rossini se prête tout à fait à ce genre d’exercice, même rendue dans sa simplicité la plus pure. Plus audacieuse, plus difficile est cependant la transcription du Erlkönig (Roi des aulnes) de Schubert : la guitare ne peut rendre les sombres images créées par le piano qui lui, entraine directement dans la sombre forêt où voyagent le père et son enfant. Plus aisées sont les conversions de Fauré que la guitare renouvelle avec féérie et bien sûr, celles des musiques espagnoles, notamment l’Anda Jaleo de Garcia Lorca et ses allures de flamenco. Tous ces morceaux sont interprétés avec brio par Thibaut Garcia qui propose un jeu souple et investi dont les solos de guitare permettent de démontrer la vigueur et la vivacité. Il brille notamment avec le tango uruguayen La Cumparsita de Matos Rodríguez, dont il rend pleinement la fougue et surtout la tension, mais il est aussi particulièrement attentif à son partenaire musical en tant qu’accompagnateur.
Aux cordes de la guitare se mêlent celles de la voix. Le public du Théâtre des Champs-Élysées retrouve un Philippe Jaroussky très en forme, public auquel il présente d’ailleurs tous ses vœux pour cette année 2022, avant d’entamer In darkness let me dwell de Dowland et surtout, un Come again : la guitare se tait un instant et la voix seule du contre-ténor enveloppe toute la salle comme une étoffe de velours alors qu’il se lamente sur son amour perdu, faisant frissonner le spectateur. Philippe Jaroussky, comme à son habitude, étincelle dans le baroque par son timbre limpide et la souplesse d’un chant qui valse d’une note à l’autre avec aisance et beaucoup d’émotion.
Mais les autres répertoires ne sont pas en reste : ainsi, son Abendempfindung de Mozart est lumineux et coloré et même dans le bel canto, Philippe Jaroussky montre une jolie virtuosité fort appréciée du public qui salue avec ravissement la cavatine de Tancredi. Le contre-ténor retrouve également la mélodie française, qu’il avait déjà abordée quelques années auparavant et propose un Fauré aussi tendre qu’élégant. Tendre est de même sa reprise de Septembre de Barbara où la légèreté de la voix permet de rendre avec clarté et surtout sensibilité les paroles et le ton de cette belle chanson.
Le concert s’achève sur une profonde mélancolie. La lumière qui éclaire la scène s’éteint peu à peu alors que résonnent les derniers accords de la guitare et enfin, le noir. Le public éclate alors en un tonnerre d'applaudissements et de bravi. Revient la lumière sur les deux artistes qui saluent, heureux de ce succès, avant de reprendre pour le bis Les feuilles mortes et la berceuse catalane anonyme Mareta, no’m faces plorar –et c’est sur cette note d’infime douceur que se termine le récital. Plus que le chagrin, la guitare éveille ainsi la mélancolie dans tous les morceaux évoqués et c’est le vague à l’âme que le public quitte finalement le Théâtre après cette soirée à la fois chaleureuse, émouvante et poétique.