Le rêve éveillé de La Somnambule à Clermont
Francesca Lattuada, déjà à l’œuvre dans Le Ballet royal de la nuit dont les fantaisies ont largement tourné en France, reprend ici les recettes de ce précédent succès : une scénographie dépouillée habillée de lumières soignées (signées Christian Dubet), des costumes excentriques (qu’elle signe avec Bruno Fatalot), tandis qu’une contorsionniste (Lise Pauton) remplace ici les acrobates d’alors. Cette vision ne commet que peu d’entorses au livret. Seulement, Elvino ne donne pas de bague à Amina lors de leurs fiançailles. Lorsqu’il s’agit de la lui reprendre, il lui retire sa longue perruque rousse, laissant la jeune femme apparaître le crâne chauve : qu’il s’agisse d’une référence aux traîtresses tondues ou aux malades sous chimiothérapie, cette image renforce puissamment l’image de fragilité que renvoie la jeune femme. Plutôt que de la lui rendre au moment des pardons, il la coiffe d'ailleurs d’une couronne d’épines : le caractère de son mari lui promet un avenir douloureux.
L’Orchestre national d’Auvergne est placé sous la baguette gracieuse de Beatrice Venezi. Sa gestique courte et précise infuse l’orchestre dont les attaques sont bien coordonnées et les accompagnements d’une grande finesse. Les cordes restent toujours légères, l’harmonie apportant de la gravité. Le percussionniste placé en loge livre une belle partie de triangle, mais se montre trop écrasant à la caisse claire. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon semble en revanche mal à l’aise, à la fois scéniquement et rythmiquement. Le son manque globalement de cohésion, notamment dans les passages les plus doux, les tutti restant très impressionnants.
Déjà appréciée en début de saison en Gilda à Montpellier, Julia Muzychenko (que vous pouvez ajouter à vos favoris Ôlyrix en cliquant sur le bouton en haut de sa page) chante ici le rôle d’Amina de sa voix pure et légère, notamment dans les aigus, dont les sinusoïdes de son fin vibrato se tendent ou se détendent avec une grande musicalité selon les intensions du personnage. Les vocalises sont exécutées avec finesse, même si elle pourrait encore leur donner plus de sens pour en accroître l’éloquence. Son jeu scénique est émouvant, notamment dans son grand air, moment suspendu applaudi par la cheffe du bout de sa baguette.
Seul rôle important n’ayant pas été distribué à un lauréat du Concours, Elvino est chanté par Marco Ciaponi. Son timbre est clair, riche, avec une projection vaillante. La plupart de ses aigus de poitrine sont émis avec facilité, mais les notes les plus hautes sont forcées et moins maîtrisées, même si son bel aigu tenu à l’acte II démontre la longueur de son souffle. Son phrasé est expressif, mais il manque encore de legato.
Alexey Birkus interprète le rôle du Comte Rodolfo, personnage volage dont le costume au pantalon rose très seyant est doté d’ailes de papillon. Sa voix aux graves d’airain, bien posés et au timbre sépulcral, a de belles résonnances. La ligne de chant est soignée et intelligente. En Lisa, Francesca Pia Vitale apparaît dans une flamboyante robe écarlate au dos nus et à la longue traine rappelant les épines dorsales d’un dragon. Son timbre ardent et solide aux saveurs fruitées a du corps et est bien projeté. Son vibrato est rond, léger, intense. Ses vocalises sont maîtrisées jusque dans le suraigu.
Teresa, vêtue d’une robe blanche de bonne fée, est chantée par Olga Syniakova dont la voix de braise, douce et épaisse, est bien émise. Clarke Ruth est un Alessio aux graves vibrant, légèrement en retrait scéniquement. Gentin Ngjela chante le rôle du Notaire d’une voix pincée et nasale.
Le public se montre particulièrement enthousiaste au moment des saluts, tapant des mains et des pieds. De quoi lancer au mieux une tournée qui verra ce spectacle passer par Vichy, Compiègne, Avignon, Metz, Reims et Massy.