Ambassadeur à Londres : Les Noces de Figaro à Covent Garden
L'une des forces de la production vintage de David McVicar pour Les Noces de Figaro (Mozart) est sa capacité à soutenir une variété d'emphases différentes. La reprise de juin 2019 était frappante pour sa mise en évidence de la politique de genre dans le livret de Lorenzo da Ponte, à laquelle fait écho la partition de Mozart. Celle de 2022 se concentre à nouveau sur des questions de statut et de classe : de nombreux figurants rappellent que les aristocrates ne sont presque jamais autorisés à être seuls. La surveillance constante du comte et de la comtesse est un rappel intrigant que les jours de ces comtes et comtesses étaient comptés (dans le pays de cette pièce de théâtre). Les actes centraux mettent l'accent sur l'opulence des chambres du comte et de la comtesse : hauts plafonds, murs lambrissés, et des hectares d'espace. La chambre du comte est légèrement végétalisée pour l'acte IV (une manière astucieuse de recréer le jardin aristocratique) tandis que Susanna et Figaro sont cantonnés au premier acte à leur chambre exprimant le statut subalterne du serviteur sous l'Ancien Régime.
Giulia Semenzato apporte, par sa formation à la Schola Cantorum de Bâle, une saveur particulière au rôle de Susanna, qui est un tour de force : sur scène presque tout au long du spectacle, elle doit servir de faire-valoir à Figaro, au Comte, à la Comtesse (par ses longs duos notamment), disposant de ses arias dans deux des quatre actes. Sa présence vocale permet différentes couleurs sur l'ensemble de la tessiture (comme demandé par la partition et certainement à la créatrice du rôle, Nancy Storace en 1786). La soprano italienne a des attaques diamantées sur chacune de ses notes supérieures, ce qui caractérise tous ses solos et les ensembles, seyant au classique comme elle siérait au baroque.
Cette voix, formée en musique ancienne, réussit même à remplir la sonorité caverneuse de Covent Garden bien mieux que Riccardo Fassi dans le rôle de Figaro. Le chanteur a aussi Don Giovanni et Leporello à son répertoire, mais la voix semble pourtant un cran trop haute pour le rôle, manquant notamment (et beaucoup) de présence, dans les passages en concurrence avec l'orchestration très dense de Mozart. Dès qu’il s’éloigne un peu du devant de la scène, la définition vocale se perd, ce qui est d’autant plus dommage que depuis l’avant-scène son registre supérieur se dégage avec un plaisir visible. Les retraits vocaux sont également compensés par son incarnation scénique pleine d'esprit, élégante et méchante dans la même mesure.
Le Comte de German E. Alcántara (tout comme la performance de son rival Figaro) semble inconfortable. Le jeu d’acteur est seyant, mais l’aria se déploie mal dans cette dimension de salle (aussi car il renforce la dimension seria avec brillance).
Federica Lombardi fait (étonnement) ses débuts au Royal Opera House, cinq ans après ceux à La Scala, un an et demi après l'Otello de Verdi face à Jonas Kaufmann (déjà dirigé par Antonio Pappano). Ces débuts expliquent peut-être une réelle hésitation à l'acte II avec des lacunes vocales accueillies par un grand silence dans le public. Mais la chanteuse et la comtesse s’installe progressivement et revient en force après l'entracte : méconnaissable et enchanteresse. Son soprano cristallin brille avec une intonation sûre et un pianissimo parsemé de légères ornementations. Le registre inférieur couple cette brillance avec une tendresse toute mozartienne.
Le Cherubino d’Hanna Hipp est certes énergique comme l'exige le rôle travesti, mais le "Non so più cosa son, cosa faccio" lui est imposé très rapidement et affalée sur le sol, rendant difficile la projection de son joli soprano. "Voi che sapete" est moins compliqué et plus révélateur de sa voix colorée avec une large gamme de dynamiques et d'articulations.
Le Bartolo de Gianluca Buratto est finement ciselé, avec des octaves descendantes aux arêtes vives, assorties d'un chant piqué merveilleusement articulé, et même spectaculaire. Son engagement théâtral et ses contributions vocales dans l'œuvre sont toujours bienvenues et bien accueillies.
Alexandra Lowe (membre du programme des jeunes artistes Jette Parker) rappelle la splendeur du "L'ho perduta" de Barbarina, en une contribution pleine d'esprit au drame dans la seconde moitié de l'œuvre. La phrasé legato soutient ses lignes et les émotions.
Marcellina (dont “Il capro e la capretta” est ici encore coupé, partiellement remplacé par l'arrivée d'un chien de chasse avec le Comte quand il souhaite entrer dans l'appartement de la Comtesse après son retour précoce de la chasse) est chantée par Monica Bacelli, très liée à Bartolo, offrant une déclamation claire et une voix agile aux ensembles et récitatifs.
Helen Withers et Miranda Westcott proposent des demoiselles d'honneur dirigeant avec élégance et compétences vocales les cérémonies de mariage. Le vétéran de Covent Garden, Jeremy White, déploie la superbe mauvaise humeur d’Antonio, personnage certainement ivre, mais suffisamment compréhensible pour fournir les informations au Comte (afin qu'il soit encore plus confus). Sa voix se déploie malgré la difficulté du rôle et de la ligne.
Alasdair Elliott (Don Curzio) se remarque par sa vocalité placée (un peu nasale). Le récit de Gregory Bonfatti en Don Basilio est coupé mais il montre, dans des ensembles et récitatifs, un ténor doux sans s’étendre particulièrement haut.
L'Orchestre du Royal Opera House est en pleine forme durant toute cette représentation, notamment le pupitre des bois. Leur Directeur musical Antonio Pappano accompagne également les récitatifs au pianoforte, mais par des réalisations qui semblent un peu datées (familières d’enregistrements des années 1960 et 1970). Comme à son habitude, le chœur du ROH réunit pleinement ses qualités de précision, justesse et investissement scénique, contribuant pleinement à l'accueil chaleureux et enthousiaste du public aux saluts.