George Dandin conté à l’Opéra Royal de Versailles
Le George Dandin de Molière (qui fut créé créée à Versailles en 1668), ici mis en scène par Michel Fau à mi-chemin entre le spectacle baroque et le conte de fées s’ouvre sur une étrange demeure au fond des bois, tourelle taillée dans un arbre autour de laquelle gravitent, au long de la pièce, les comédiens. Le spectateur note tout de suite la symbolique de ses deux étages que les personnages grimpent ou redescendent au fur et à mesure de l’histoire : le rez-de-chaussée d’abord, seulement foulé par ceux « de basse condition », le premier balcon d’où les parents de l’épouse de George Dandin (les barons de Sotenville) jugent leur beau-fils et enfin, le sommet depuis lequel, tour à tour, les deux époux Dandin démontrent leur domination l’un sur l’autre.
Élévation ou déchéance dans cette tourelle aux allures parfois si charmantes, parfois cauchemardesques. Les lumières éclairent un toit pointu aux couleurs naïves qui n’est pas sans rappeler La belle au bois dormant, une forêt où le ton est au badinage entre les amants secrets… Puis surviennent des teintes rouges, sombres et alarmantes et, lors du dernier acte, un éclairage nocturne insistant sur la pâleur des personnages errant dans le noir, tels des fantômes. Le merveilleux est de mise, un merveilleux qui insiste à la fois sur l’intemporalité de l’intrigue et sur l’éloignement du monde, dans une forêt isolée d’où personne ne semble pouvoir s’échapper. Mention spéciale pour les magnifiques costumes qui, eux aussi, donnent le ton de ce mystérieux ensemble, signés Christian Lacroix.
C’est en musique que commence et s’achève la comédie, découpée par ailleurs en intermèdes eux-mêmes musicaux. Comme dans Le Bourgeois gentilhomme, la musique de Lully accompagne le texte de Molière, ici reprise et dirigée par Gaétan Jarry et son Ensemble Marguerite Louise. Du fond de la scène où sont installés les musiciens s’élèvent donc les notes de Lully, entonnées avec énergie et vivacité, commandées d’une main habile par le claveciniste.
La pastorale de Lully conte les amours des bergères Cloris et Climène qui repoussent les avances de Tircis et Philène, lesquels, de désespoir, vont se jeter à l’eau. Cloris, regrettant sa cruauté, pleure le trépas de son amant mais, heureusement, les deux bergers ont été sauvés et tous se réunissent alors pour célébrer l’Amour. La pastorale s’achève sur une dispute autour de qui l’emporte entre Bacchus et Amour.
La soprano Cécile Achille, qui incarne Cloris, déploie un timbre nuancé, un chant rond, précis et maîtrisé, parfois cependant recouvert par le clavecin. Juliette Perret quant à elle est une Climène au timbre opalin, à la voix agile et souple, à la diction aiguisée et juste. Ensemble, les deux chanteuses proposent un duo harmonieux à l’équilibre infaillible.
Quant aux rôles de Tircis et de Philène, ils sont respectivement incarnés par le ténor François-Olivier Jean et le baryton David Witczak. Le premier présente un chant clair, délicat et net, contrastant avec les élans plus sombres du baryton, qui déploie une voix plus large, mais moins définie et précise. Le duo fonctionne également à merveille, puisque les deux voix se superposent avec aisance et netteté.
À eux quatre, dans leurs superbes costumes aux nuances de rouge inspirés des costumes de théâtre du XVIIe siècle, ils rendent avec autant de précision que de finesse les notes de Lully.
Dans le rôle de George Dandin, Michel Fau choisit de représenter un personnage plus pathétique que burlesque, dont le malheur est souligné par le maquillage de clown triste, ainsi que la diction lente et exagérée –caractéristique, par ailleurs, du jeu des autres comédiens, l’exagération contribuant à renforcer l’impression de la fable.
Armel Cazedepats est ainsi un Clitandre au sempiternel sourire, plein de tonus et d’énergie alors qu’il courtise Alka Balbir dans le rôle d’Angélique –dont le débit, hélas, trop rapide, empêche le spectateur de savourer la belle langue de Molière.
Le duo des barons de Sotenville propose un bon équilibre entre une Anne-Guersande Ledoux surexcitée (Madame de Sotenville), dans une abondance de surjeu et de déploiement de voix, et un Philippe Girard (Monsieur de Sotenville) plus impotent, jouant sur la fatigue quasi-sénile de son personnage.
Enfin, le duo qui ravit le plus le public est celui de Claudine, forte tête incarnée par Nathalie Savary et Lubin, caricature de paysan drôlesque rendue avec brio par Florent Hu qui court d’un bout à l’autre sur scène en hurlements et proférations.
La contrefaçon du réel est le nœud de cette mise en scène qui déploie finalement tous les artifices pour faire montre d’un monde où tout n’est qu’affabulation, mensonge et mystification, un monde où le merveilleux n’existe pas, puisqu’il est tout de suite démenti par le cauchemar, un monde où George Dandin, plutôt que de laisser cours à un suicide tragique, préfère aller se noyer dans la boisson, en écho à la fin de la pastorale de Lully – qui d’Amour ou de Bacchus est le plus fort ?
Pour Dandin, c’est Bacchus, qui lui seul le consolera des malheurs d’un mauvais mariage où tout triomphe (y compris ce spectacle à Versailles), sauf l’amour.