4.48 Psychosis à la Cité de la Musique
Premier compositeur-doctorant en résidence conjointe au Royal Opera House de Londres et à la Guildhall School of Music & Drama, Philip Venables a reçu commande d'une œuvre qui saurait solliciter toutes les ressources et réflexions des deux institutions. Particulièrement intéressé par le rapport du texte avec la musique et désirant traiter de la violence, la pièce de théâtre 4.48 Psychosis de Sarah Kane s’est ainsi imposée à lui comme livret. La profondeur de ce texte écrit par une plume souffrante et traitant des conflits intérieurs dus à la dépression est déjà particulièrement poignante. L'héroïne de ce drame créé de manière posthume se suicide à 4h48, Sarah Kane mettra fin à ses jours peu avant 3h30 du matin, à 28 ans, seulement. La musique de Philip Venables magnifie ce texte, avec force contrastes et même une pointe d’humour noir, par l’alternance, parfois brusque, de moments très oppressants et d’autres tendres mais toujours dans une angoisse sous-jacente, emportant l’auditeur dans ce tourbillon du désespoir. La partition mêle également les instruments acoustiques à la musique et aux effets préenregistrés, au point que l'auditeur ne sait parfois pas exactement à quel point le son vient de la scène ou des enceintes, participant à la sensation de vertige. Les contrastes sont très présents, dans la musique comme entre musique et texte. D'ailleurs, les mots lors des dialogues entre l’héroïne et sa psychiatre ne sont pas chantés, ni parlés, mais projetés sur le fond de scène (grâce à la mise en espace et en lumières d'Elayce Ismail), tandis que les percussions les rythment, parfois violemment. Autre moment particulièrement fort, la lecture vertigineuse des rapports médicaux, avec une musique souvent figurative, pouvant faire autant sourire que suggérer l’angoissante lassitude de la patiente.
Hier soir à la @philharmonie pour « 4.48 Psychosis », opéra dune rare intensité dramatique de @philipvenables. Une descente dans le tréfonds de lâme humaine magistralement traitée par le compositeur anglais qu'on retrouvera, c'est sûr ! @FESTIVALAUTOMNE pic.twitter.com/Y31BR1XQIu
— Ensemble intercontemporain (@Ensemble_inter) 17 décembre 2021
La composition mêle chanté et parlé, dans une difficulté d'écriture extrême, portée par une maîtrise vocale constante. Pour exprimer la complexité des émotions, six chanteuses solistes sont requises, sans distinction précise de personnages. Sonorisées -avec grand soin- les différentes voix sont difficiles à distinguer clairement, traduisant les troubles psychotiques de l'héroïne et permettant de garder l’équilibre entre les différents traitements vocaux (chanté, parlé, chant étouffé, cris, bouche fermée et onomatopées) ainsi qu’avec les voix parlées enregistrées. Toutefois, chacune des artistes a au moins un moment de mise en valeur qui permet de les apprécier. La soprano Gweneth-Ann Rand semble incarner le rôle principal, ou en tout cas son existence physique. Outre un impressionnant travail du souffle, que partagent toutes ses collègues, ainsi qu’une maîtrise des registres, passant de l’un à l’autre avec beaucoup de souplesse et d’expressivité, elle fait entendre une voix particulièrement chaude. Robyn Allegra Parton se fait douce et innocente, d'une voix fraîche, mais laissant sentir l'inexorable approcher. Karen Bandelow -sur une citation évidente de l’Agnus Dei de Bach, comme un souvenir d’un disque vinyle fatigué- fait entendre une voix claire et empreinte d’un grain certain. Samantha Price bénéficie d’un très tendre chant accompagné du synthétiseur, offrant une ligne souple et chaleureuse avec une voix ronde, alors même que les cordes et les autres chanteuses juxtaposent une musique dissonante et particulièrement oppressante. Rachael Lloyd fait entendre une certaine profondeur dans sa voix, arrondie mais volontairement un peu acide pour se faire menaçante sans aucun surjeu. Enfin, Lucy Schaufer, qui semble incarner le plus souvent la docteure en charge de l’accompagnement de la jeune dépressive, possède également une voix sûre et présente. Toutes démontrent un travail de précision extrême, tout autant que les musiciens de l’Intercontemporain, sous la direction très équilibrée de Matthias Pintscher.
Aujourdhui, à la Cité de la musique, nouvelles répétitions de « 4.48 Psychosis », opéra totalement atypique du compositeur anglais Philip Venables. À découvrir jeudi prochain dans le cadre du @FESTIVALAUTOMNE https://t.co/kp2xI56CQp @philharmonie pic.twitter.com/HXeKbtJS2q
— Ensemble intercontemporain (@Ensemble_inter) 14 décembre 2021
Bien que ce concert contraste avec les programmations festives de cette fin d’année, le public se montre particulièrement reconnaissant envers cette puissante expérience, saluant très chaleureusement le compositeur, les artistes et toute l’équipe.