Virilité.e.s à l’Opéra de Montpellier : théâtre musical d’un nouveau genre
...en tous les cas, la note d'intention pose cette question, mais difficile de trouver des réponses dans ce spectacle, et même d'y retrouver ces questions pourtant d'actualité : conçu et diffusé en streaming en pleine pandémie, le spectacle est ici offert in vivo au public de l’Opéra de Montpellier, alors même que la bataille fait rage autour du pronom neutre, non binaire, « iel », entré dans le dictionnaire Le Robert en ligne.
Le spectacle proposé ici est une mise en abyme d’une répétition, qui sert difficilement la réflexion mais fait au moins office de concert. Le public doit ici décoder des indices et des intentions questionnant les genres : le fait que l’équipe scénique soit composée de femmes (Alicia Geugelin à la mise en scène, Elise Schobeß pour la dramaturgie, Letycia Rossi et Pia Preuß aux décors et costumes, excepté donc pour les arrangements de Steven Tanoto et les lumières signées Sergio Pessanha), que les choristes féminines revêtent l’uniforme tandis que les hommes sont tous singularisés (à voir dans quelle mesure il s'agit d'un renversement des rôles par rapport à notre société). Des globes -quasi oculaires- descendent des cintres, pouvant signifier que la construction identitaire relève du regard social et des représentations essentialistes en matière de genre (l'un de ces globes, toujours sur le point de disjoncter, serait alors l'individu ne se conformant pas et souffrant d'autant, ou bien celui qui n'a pas été mis au "courant" des nouvelles catégorisations). Ces questionnements à trouver par soi-même surgissent dans un spectacle qui représente la vie d'une répétition de chorale en temps de Covid (avec distributeur de gel hydro-alcoolique, distanciations mesurées par un mètre pliant, l’un qui mange tranquillement "sans gluten" ou une banane "bio" pendant la « pause », tandis que l’autre donne des conseils à un ténor qui fait de son mieux pour chanter falsetto).
La mise en abîme de la répétition permet de voir, dans ces moments de pause purement théâtraux, combien et comment les hommes sont différents. Ils vaquent à leurs occupations non musicales, parlent ou s’invectivent entre eux. Ces différences vont ensuite s’exprimer dans les pièces musicales, avec des différenciations gestuelles visant à suivre celles entre les pupitres, dans un effet assez comique.
La représentation questionne aussi, quitte à les confondre, les questions des identités vocales et des caractères humains formant un chœur : cinq solistes, piochés dans le chœur, incarnent le perfectionniste, le narcissique, le communiquant, le loyaliste, et autre. Mais au final, le genre que les choristes de la maison parviennent à imposer est celui de la musique romantique, allemande et française avec Schubert, Weber, Brahms, Orff, Reger et Mendelssohn, Saint-Saëns et Berlioz (le rapport entre les œuvres n’est pas vraiment établi, mais certains textes font souvent allusion à des activités "d’hommes" telles que la chasse, sauf que finalement les femmes n'y sont pas en reste). Les voix, prises individuellement et ensemble s'appuient sur un ténor lumineux au vibrato serré ou un baryton ombré au cœur serré. Les ensembles masculins, en particulier a cappella, sont risqués sur le plan de la justesse, tant les choristes avancent masqués (littéralement et face à cette proposition scénique) et au-dessus du vide de la fosse. Les repères manquent, en dépit de leur insistance amusante à s’accorder régulièrement sur un « la » tout droit sorti du beau pays de Lalaland. La matière est sonnante, parfois trébuchante, mais visiblement pour le plus grand enthousiasme et plaisir des protagonistes ainsi que du public.
Le chœur masculin est donc même rejoint par le chœur féminin dissimulé dans les coulisses et l’orchestre tapis patiemment en fosse, dans un défilé martial avant de s’égayer et de se mélanger, de manière beaucoup moins « uniforme », pour produire cette diversité tant convoitée. L’apparition des femmes dans le chœur des chasseurs du Freischütz est ainsi l’occasion de faire changer les représentations. Ce sont elles qui défilent, en uniforme de chasseur arme à la main, en suivant en cadence une fanfare de six musiciens qui sont montés sur scène. Les femmes chantent aussi dans les coulisses pour La Damnation de Faust de Berlioz (chœur des soldats) puis apparaissent habillées d’un complet veston. Certaines réparent le trou du sol causé par les haches brandies des hommes.
La direction musicale de Victor Jacob se prête de bonne grâce à ce jeu de mise en abyme allant même conduire au plus près des chanteurs groupés autour de lui une pièce a cappella. Le travail qui lui revient ressemble en tout point à la direction de l’opéra, en ce qu’il doit être attentif à la partie orchestrale et à celle, beaucoup plus mouvante, qui évolue sur le plateau.
L’Orchestre national Montpellier Occitanie, en effectif réduit mais fort d’un solide pupitre de cuivres ainsi que de cordes solistes très finement chambristes, participe également au spectacle par ses fondus-enchaînés dans les incipit du chœur (dont les préparatifs ont été confiés à Noëlle Gény).
La salle s’embrase, à la toute fin du spectacle, d’applaudissements joyeux.