Armida de Rossini, sorcière bien-aimée à l’Opéra de Marseille
Adaptée d’un épisode de La Jérusalem délivrée du Tasse (source d’inspiration de très nombreux librettistes), l’Armida de Rossini se distingue par l’extrême virtuosité du rôle-titre qui constitue un des sommets du bel canto. Le défi est ici confié à Nino Machaidze qui incarne une Armida expressive, sensuelle, charmeuse, parfois menaçante. Les difficultés techniques sont maîtrisées, ses vocalises sont naturelles et fluides, les nuances très présentes et les sauts d’octave -du grave vers l’aigu- d’une justesse irréprochable. Néanmoins la compréhension du texte est rendue difficile, faute d'une articulation précise.
À ses côtés (et c'est l’une des autres singularités de cet opéra) ne gravitent que des hommes, au nombre de huit personnages confiés ici à cinq interprètes (dont quatre ténors). Rinaldo, tour a tour guerrier et amoureux transi au regret d’abandonner sa sorcière bien-aimée, est interprété par Enea Scala (entendu très récemment sur la même scène dans Guillaume Tell). Il montre ses qualités expressives et techniques dès son premier duo avec Armida. La voix est touchante, les vocalises fusent avec naturel et fluidité dans ce duo ensorcelant, ponctué de délicieuses interventions de la flûte traversière : les voix se mêlent de façon harmonieuse et équilibrée. Le ténor se fait ensuite passionné et toujours nuancé, avec de nombreuses vocalises assumées comme autant de prouesses techniques.
Chuan Wang interprète Gernando et Ubaldo, avec la jalousie assoiffée de vengeance pour ce premier personnage, même si la voix manque un peu de brillance et de soutien dans les graves. Il présente un médium solide et séduisant ainsi qu’une ligne vocale bien articulée.
Le rôle de Carlo, l’autre compagnon de Rinaldo, est confié à Matteo Roma qui campe également le personnage de Goffredo. Son timbre est chaud, ses vocalises légères et fluides, mais la justesse est parfois douteuse lors de sa première intervention. Ce souci est vite rétabli, le chanteur gagnant en assurance.
Eustazio, le frère de Goffredo, est interprété par Jérémy Duffau. Ce petit rôle laisse percevoir une voix de ténor bien projetée au timbre chaleureux permettant une bonne compréhension du texte.
Enfin, seul baryton, dans le double rôle d’Idraote (l’oncle d’Armida) et d’Astarotte, Gilen Goicoechea déploie sa voix puissante au soutien affirmé avec une élocution très nette (efficace dans les longs et fréquents récitatifs d’Astarotte, le méchant sorcier qui met toutes ses puissances infernales au service de la magicienne).
Le Chœur de l’Opéra de Marseille préparé par Emmanuel Trenque assume ses nombreux passages dans l'œuvre. Dans l’acte I, les hommes interviennent en guerriers, avec justesse, nuance et une rigueur nette dans l’élocution. Les femmes entrent à l’acte II, placées derrière les hommes et séparées dans le même respect des mesures sanitaires (mais moins propice de fait à la douceur de leur prestation vocale en douces nymphes).
L’Orchestre de l’Opéra de Marseille, de grande ampleur, est situé devant la scène. Des écrans permettent aux spectateurs des balcons d’apprécier la direction précise du chef d’orchestre José Miguel Pérez-Sierra. Les musiciens assument l'habileté Rossinienne dans une interprétation enlevée, dès l’ouverture se terminant dans une atmosphère joyeuse, après un échange étonnant entre les cors, puis les trombones et les bois, ponctué du malicieux piccolo. Le joyeux intermède instrumental de l'acte II, quoiqu'assez long, est également joué de façon dynamique par tout l’orchestre (y compris la harpe et un solo nuancé de clarinette).
Enchanté par cette magicienne entourée de ses chevaliers servants, le public ovationne longuement l’ensemble de la production.