Le Royal Opera House continue de raviver La Traviata de Richard Eyre
La production de 1994 de Richard Eyre de La Traviata n'a jamais quitté la scène de Covent Garden ni le cœur de ses spectateurs. Cette nouvelle reprise de la production, aux mains de Pedro Ribeiro, conserve les qualités de sa conception originale, désormais rehaussées par cette distribution. L'accent est mis sur la beauté et la précision dramatique, la mise en scène jouant sur les textures et les couleurs somptueuses, plaisant visiblement au public de Londres. Les ors subtils caractérisent le premier acte autant que les rouges sourds à la deuxième scène du deuxième acte, tandis que le début de celui-ci -malgré les échanges tragiques entre Violetta et Germont- bénéficie d'un bleu bucolique et frais qui contrebalance le luxe parisien.
Parmi les plus petits rôles, Blaise Malaba, jeune artiste du programme maison, donne une présence vocale et scénique au timbre du Docteur Grenvil au troisième acte. Egor Zhuravskii, autre membre du programme pour jeunes artistes de Jette Parker, apporte lui aussi son aisance d'acteur et son timbre (de ténor aisé mais presque baryton dans les graves, seyant à Gaston de Letorières). Jeremy White (le Marquis d'Obigny) et Yuriy Yurchuk (le Baron Douphol) soutiennent notamment les graves des ensembles.

Les deux petits rôles féminins tiennent leur place clé dans l'intrigue, les grands et les petits ensembles. L'Annina de Renata Skarelyte ouvre l'acte II avec une récitation vocale peu nuancée, mal alignée avec la subtilité du plateau, mais elle affine ensuite le contrepoint. Stephanie Wake-Edwards a le plus grand rôle parmi les jeunes artistes soutenus par la maison, son mezzo en Flora est aussi habile sur toute la gamme que son grave était évocateur en troisième dame dans La Flûte enchantée.

Christian Gerhaher incarne Giorgio Germont, avec un deuxième acte plein d’une brutalité impitoyable, d'invocations désinvoltes d'un dieu tout aussi impitoyable, et de compétences parentales douteuses. La prestation s’appuie sur des lignes vocales brisées reflétant son mélange de colère, de frustration et d'inquiétude. Ce n'est qu'avec son grand air (“Di Provenza il mar, il suol”) que les lignes legato déploient toute leur forme, comme un apaisement après tant de tension dramatique, dans une libération vocale (même si l'effet sur son fils est loin d'être celui espéré).

Lisette Oropesa suspend le souffle du public chaque fois qu'elle ouvre la bouche et l'assistance aurait visiblement souhaité un bis pour "Sempre libera". Le contrôle des aigus et suraigus parachève celui de la ligne vocale au point de ne plus sembler surprendre. Mais ce rôle permet aussi d'apprécier le registre grave mélodieux de la soprano. Les deux rôles chantés par Oropesa cette saison à Covent Garden (Violetta et Gilda) ont en commun d'opérer une transition au cours de la soirée entre les qualités virtuoses et une concentration vocale à l'intensité du drame, moins brillante et plus tragique.

Liparit Avetisyan, malgré son ténor un peu plus léger qu'à l'habitude dans ce premier rôle masculin, compense et offre un pendant à Violetta par des nuances, une articulation et un phrasé subtils (allant jusqu'à surprendre l'Orchestre maison à plusieurs reprises, notamment lorsqu'il réitère une phrase à ce point piano qu'elle n'obtient pas la réponse de toute la fosse). Le duo soprano et ténor forme toutefois une combinaison explosive dans les ensembles et finales.

Antonello Manacorda dirige l'Orchestre du Royal Opera House avec un peu moins de sensibilité pour les subtils changements de dynamique et d'articulation que ceux des chanteurs, mais l'ensemble instrumental s'élève avec superbe à la luminescence de la partition de Verdi. William Spaulding a préparé des chœurs de noceurs et de joueurs avec style et précision, au service de l'enthousiasmante soirée.
