Duo chambriste au Musée Chagall de Nice
Parallèlement à la saison lyrique et symphonique, a lieu une saison de musique de chambre, qui fait appel aux artistes de la maison niçoise et repose sur une collaboration entre le musée et l’opéra. Cinq pièces, sélectionnées avec une notable cohérence, font ce soir alterner les moments solistes et les moments chambristes, de Kurtág à Poulenc, en passant par Messiaen. Plusieurs axes se dégagent ainsi des œuvres choisies : une poétique du fragment dans un lien subtil entre inspirations mystique et comique. Cette succession de petites formes, denses et fugitives, concentre toute l’énergie des deux artistes, comme un stand-up musical, du sermon au sketch, en passant par la chanson.
Liesel Jürgens (qui réjouissait déjà les Petits-déjeuners sur scène à l'Opéra de Nice) joue et se joue des langues mises en musique dans les œuvres de la soirée. Elle donne au hongrois, depuis son allemand natal, une matière solide, rude et douce, comme du granit, et au français, toute sa subtilité prosodique. La voix est longue, homogène, dans les différents registres mis à contribution par les œuvres, ce qui permet à la soprano de restituer l’univers propre à chaque compositeur : l’empreinte sonore qui résulte de leur écriture. Elle passe, avec agilité, du chanté au parlé, de la mélodie au "dit", elle "joue" chaque consonne comme s’il s’agissait de clefs et pistons d’un instrument à vent. Elle "joue" aussi de son corps, en se balançant doucement de droite à gauche, en se courbant, vêtue pour chaque œuvre d’une étole de couleur différente, comme en hommage discret au peintre de ces lieux.
Le pianiste, au service de la chanteuse, sait également faire résonner son instrument en soliste dans des moments aussi incandescents que recueillis entre contemplation et méditation, avec autant de douceur que de violence. La liqueur chambriste de la soirée est un alliage serré qui n’a rien de sirupeux. Le pianiste se montre attentif à la moindre nuance, profondément organique, de la voix de sa partenaire, tandis que la soprano mobilise davantage que dans les pièces a cappella la longueur de son souffle, les allures plus ou moins rapides de ses vibratos, l’émission de courts passages nasalisés.
Au final, la soirée repose sur deux principaux ingrédients : l’équilibre entre l’improvisation et la synchronisation d’une part, l’échange entre les deux parties prenantes du programme d’autre part. Le piano de Thibaud Epp n’est plus seulement un discret tapis de notes, tandis que le chant de Liesel Jürgens enveloppe ce dernier de toute sa matière organique.