(Re)naissance en ouverture du Festival Musica Nigella 2021
Le Festival garde le cap et poursuit sa volonté d’exploration de territoires musicaux méconnus, autant par le choix du répertoire, que par les talents lui donnant vie. Cette année, c’est par un vibrant hommage au compositeur Reynaldo Hahn que Takénori Némoto, Directeur artistique du Festival, inaugure cette 16ème édition. La configuration intimiste du salon de musique dans la Maison du Festival à Tigny-Noyelle se prête de manière idoine à l’exploration des pièces de chambre emblématique de la période la plus prolifique du compositeur.
Entamant la soirée avec panache, l’Ensemble Musica Nigella déploie l’expressivité du Quintette pour piano et cordes, œuvre chambriste mais dont la fantaisie lui valu d’être la plus jouée du vivant du compositeur. La soirée se poursuit avec l’opéra de chambre La Colombe de Bouddha, joyau méconnu du répertoire de Reynaldo Hahn, entre autres du fait de sa durée (35 minutes). Courte, mais non moins enchanteresse, l'œuvre fut créée en 1921 au Casino de Cannes et reçut l’enthousiasme des critiques de l’époque, et pour cause : la finesse mélodique de sa partition s'allie à une intrigue poétique simple déroulée par le livret d’André Alexandre.
Ce conte japonais lyrique présente les tourments amoureux de Kobé, jardinier au crépuscule de sa vie, épris de Jonquille (Kumi Sakamoto), la jeune fille dont il assure l’éducation et qui ignore tout de ses sentiments. Alors qu’il confie sa peine au prêtre Osaki, celui-ci l’enjoint de refouler son amour au motif que “l’hiver ne peut pas s’unir au printemps”. Achevant de fendre le cœur du malheureux Kobé, un chanteur ambulant fait son apparition, s’éprend de Jonquille et la convainc de prendre la route avec lui. Accablé par le départ de l’être aimé, le jardinier s’en remet alors aux déités. Il meurt d’amour, et, symbole de son sort, est changé en colombe.
Sans mise en scène, le charme des mélodies interprétées par le pianiste Nicolas Ducloux emprunte tour à tour au langage debussyste et aux kumoï (gammes japonaises). Cela suffit pour transporter le public au cœur d’un temple japonais et faire éclore les fleurs d’un jardin d’hiver. Artiste fidèle au festival, c’est sous les traits de Kobé que le baryton Didier Henry ravit cette année l’audience par une interprétation sincère et humble. L’interprète déploie des trésors d’expressivité et de couleurs vocales. L'œuvre est également l’occasion pour la basse Trystan Aguerre de renouer avec Musica Nigella après sa prestation remarquée dans Hamlet en 2019 (notre compte-rendu), ici en tant que bonze (Osaki). Son timbre sombre, serein, donne toute sa consistance à la posture de maître du temple en dépit de graves laryngés. Son interprétation aurait par ailleurs pu gagner en relief par un effort de déclamation plus poussé.
Parallèlement, le plateau vocal offre à deux talents l'occasion de s’épanouir. La soprano Kumi Sakamoto (Jonquille), passionnée de mélodie française, éclot ici dans son répertoire de prédilection en traditionnelle mousmé dans la fleur de l’âge. La brillance de son timbre dans les aigus facilite ses envolées, mais le placement change dans le medium, ramené vers la gorge et arrondissant trop les voyelles. Enfin, la performance de Luca Festner en tant que Yamato le Jongleur fait l’effet d’un vent de fraîcheur au moment où l’intrigue se fait oppressante. Le ténor convainc par une ligne vocale enjouée, une excellente diction, et une présence scénique radieuse.
Le public, qui ne bouda pas ce Bouddha, ni son plaisir de partager un tel moment musical dans la chaleur du salon de Tigny-Noyelle, se réunit autour d’un verre de l’amitié.