Premier concert parisien de l'Ensemble Pérotin le Grand : nouveau schisme à Notre-Dame
Le terrible incendie de la Cathédrale Notre-Dame de Paris survenu le 15 avril 2019 a privé la Maîtrise de la Cathédrale de son lieu de concerts jusqu'à la fin des travaux monumentaux mais aussi définitivement de son responsable du département de chant grégorien et de musiques médiévales, Sylvain Dieudonné. Celui a depuis fondé son propre ensemble, continuant ainsi d'interpréter la musique de cette période, notamment des XIIe et XIIIe siècle connue comme "L’École de Notre-Dame" (car c'est là qu'elle fit florès) mais plus pour Notre-Dame. C'est l'Église Saint-Étienne-du-Mont, à côté du Panthéon, qui accueille le premier concert parisien de cet ensemble, nommé Pérotin le Grand (du nom du compositeur et grand représentant avec Léonin de cette école, fondatrice pour la polyphonie occidentale). Saint-Étienne-du-Mont offre néanmoins un nouvel asile à cette musique et à cet ensemble, avec un décor spirituel impressionnant et tendrement illuminé, mais également et surtout une acoustique adéquate pour ce répertoire qui retrace l'évolution de la polyphonie des œuvres vocales de l'École de Notre-Dame à partir du chant géorgien monodique du XIe siècle jusqu'au compositeur du XVIe siècle Pierre Certon, et même jusqu'à nos jours : la soirée se conclut en effet par À travers temps, pièce en deux parties pour huit voix a cappella signée Raphaël Mas, un des chanteurs de l'Ensemble. Sa composition, basée sur le thème de l'antienne parisienne Regina mundi sur un texte du poète du XIIe siècle Adam de Saint-Victor, a été créée en 2020 pour commémorer le tragique incendie de Notre-Dame.
L'Ensemble fait preuve d'un sens remarqué de l'unité et de la discipline, qui ne tombe nullement dans la rigidité. Le caractère solennel du répertoire et du chant, renforcé par l'acoustique des lieux, traduit la finalité spirituelle du répertoire qui repose sur la méditation, la paix, mais aussi une méditation sur la majesté de Dieu et la béatitude de la Sainte-Vierge. Les voix féminines, composées des sopranos Marthe Davost et Laurence Pouderoux avec l'alto Orelle Pralus, ouvrent le répertoire de leur timbre épais et velouté, sombre et méditatif. Leurs résonances dans toute l'acoustique semblent même descendre des clefs de voûte, transportant le public dans l'atmosphère spirituelle. Les voix masculines, avec Raphaël Mas en alto, Matthias Deau et Damien Rivière en ténors, Jérôme Collet et Christophe Gautier pour les basses, démontrent un grand soin des textures et de la précision dans les passages en unisson comme dans les mélismes élaborés. Les motets démontrent bien leur contrôle doublé d'une sensibilité dans la combinaison des timbres.
Toutes ces qualités se réunissent (à l'image du projet esthétique de cet ensemble et de l'œuvre concluant le programme) dans les deux parties d'À travers temps. La transparence du timbre des sopranos, imprégnée également d'une certaine pureté, suscite une impression de suspension temporelle soutenue par la basse bien texturée, qui semble surgir des profondeurs et sert d'ancrage pour les autres voix. Les notes longues dans le registre médian maintiennent une résonance concentrée, rendue encore plus engloutissante grâce au reflet sonore venant de la voûte.
Le voyage esthétique, spirituel et historique est ainsi pleinement porté par les connaissances de Sylvain Dieudonné : musicologiques mais aussi pratiques, dans son rôle de Directeur artistique et musical de ce nouvel Ensemble, appelé à transcender, dans l'éternité de l'art, les conflits humains de notre monde temporel.