La Bohème par la Verbier Academy, coup de maître pour les élèves
En ce jour de fête nationale suisse, les autres festivités se trouvent limitées par la faute d’un temps capricieux et de nuages bien trop épais. Qu’importe, le public de Verbier se voit offrir un feu d’artifice vocal et un spectacle lumineux avec cette Bohème proposée en conclusion de l’édition 2021 du Festival, qui se termine comme de coutume par une prestation des élèves de l’académie lyrique et de l’orchestre des jeunes instrumentistes. Ces artistes en herbe, et notamment parmi les chanteurs, trouvent dans ce spectacle lyrique l’occasion de briller à nouveau, après avoir pu montrer un talent déjà bien affirmé en récital (notre compte-rendu), talent peaufiné lors de masterclasses prodiguées par Thomas Hampson, Véronique Gens ou Stéphane Degout. Une Bohème en l’occurrence légèrement raccourcie (les passages avec chœur sont absents) et mise en espace à moindre frais (quatre chaises tiennent lieu de bar, et deux de lit).
Sylvia d’Eramo affiche ici des dispositions vocales qui portent de riches promesses d’avenir. La soprano américaine campe ici une Mimi crédible et touchante de bout en bout dans son rôle d’amoureuse d’abord naïve et attendrissante, puis douloureusement livrée à la mort par la maladie. Par la pureté de son timbre, l’éclat de ses aigus et le lyrisme puissant de sa ligne de chant, l’artiste aimante l’attention et la lumière d’un bout à l’autre du spectacle, des nuances fortissimo sonores pouvant aussi laisser place à des pianissimi somptueusement éthérés. Reste seulement une projection qui peut sans doute encore gagner en profondeur.
De sa voix émise avec aisance sur une large étendue, Sungho Kim déploie en Rodolfo un medium riche et des aigus fougueux. Le ténor sud-coréen se montre joliment à son avantage, son “Che Gelida manina” étant interprété avec tout l’élan passionnel attendu. Comme sa Mimi du jour, ce Rodolfo est pleinement efficace et impliqué dans la restitution des divers sentiments qui le traversent, de l’amour passionnel à la funeste affliction finale.
Marcello est campé énergiquement par l’Australien Stephen Marsh, qui se fait remarquer par une voix de baryton au timbre chaud et à la projection incisive, qui gagne en rondeur dans le registre inférieur de la tessiture. Le rôle de Musetta est servi par le soprano de caractère de la russo-américaine Erika Baikoff, loin de se trouver dans l’ombre de cette pourtant si solaire Mimi. Timbre charmant, projection aisée, souplesse de la ligne de chant, cette Musetta a tout pour plaire, et se montre totalement épanouie dans son grand air (“Quando m’en vo”) ici interprété avec moins de candeur et de coquetterie ingénue que d’élan débridé et d’ardeur séductrice.
Le Britannique Edward Jowle est un solide Colline, avec un timbre riche, une réelle prestance dans l’émission, et des graves profonds. Schaunard trouve en l’Américain (ex-pensionnaire de l'Académie de l'Opéra de Paris) Alexander York un interprète nanti d’une voix au médium nourri et à la projection assurée, mais au vibrato peu ample. Avec sa voix chaude et sa projection tranchante, Jean-Philippe Mc Clish est efficace en Benoit autant qu’en Alcindoro, tandis qu’Edward Kim, dans le furtif emploi de sergent des douanes, laisse entendre un baryton robuste.
Eu égard au temps restreint de travail collectif (une quinzaine de jours), et à la jeunesse de ses membres, la performance du Verbier Festival Junior Orchestra reçoit une mention d’excellence. D’une direction précise sans être forcément exubérante, le maestro James Gaffigan parvient à tirer la quintessence sonore et musicale de chacun des pupitres, des cordes fougueuses aux cuivres percutants en passant par des percussions toniques et précises. Ces musiciens viennent de multiples pays (19 nationalités représentées), mais ils parviennent à parler un même langage devant cet élan dramatique puccinien, celui de la quête d’une énergie permanente, d’une sonorité parée de mille nuances et d’autant de couleurs. Une prestation impressionnante pour des jeunes dont aucun n’est âgé de plus de 18 ans. Un bel avenir se présente donc à ces instrumentistes autant qu’à ces artistes lyriques, à commencer par Mimi, qui emporte au final les applaudissements les plus nourris de la part d’un public de Verbier plus que jamais comblé d’avoir renoué avec l’incomparable saveur des concerts, deux ans après la dernière édition du festival.