Phryné à Rouen, et le charme opéra
Comme à son habitude, le chef Hervé Niquet, ici placé à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, se saisit de sa baguette aussitôt arrivé au pupitre et lance ses musiciens sans perdre une seconde, par de grands mouvements, dynamiques et précis. La musique de Saint-Saëns se dévoile aussitôt flamboyante, avec ses volutes tourbillonnantes, portée par des cuivres tonitruants, des bois moqueurs, des cordes très lyriques et des percussions festives. Le livret, dont l’intrigue est située dans la Grèce antique, est écrit en vers, chaque mot étant choisi avec poésie et humour, mais aussi pour la musicalité de leur prosodie.
Dans le rôle-titre, Florie Valiquette propose une interprétation impassible : cette absence de théâtre corporel s’entend dans son chant, dès lors peu porteur d’émotion (elle tourne d’ailleurs le dos à Cyrille Dubois durant leur duo d’amour, empêchant toute étincelle de passer dans leurs regards). Heureusement, sa voix fine, tranchante et vive au léger vibrato, est maniée avec une technique fluide, notamment dans des vocalises étincelantes (comme sa robe), produites avec aisance. Son chant est nuancé et sa diction globalement précise même si certaines syllabes restent étouffées.
Cyrille Dubois apprécie ce répertoire, qui le lui rend bien, mettant pleinement sa musicalité en valeur. En Nicias, il œuvre de son timbre enjoué, explorant des aigus vaillants et clairs, tenus d’un vibrato régulier. Son interprétation est, comme à l’accoutumée, d’une grande force expressive, son corps tendu se mouvant avec les accentuations de son chant. Thomas Dolié s’amuse en Dicéphile, les mains jointes et la mine bougonne pour jouer, même lorsqu’il ne chante pas, le ridicule de son personnage. Son timbre sombre et renfrogné porte un chant piqué, comme le veut la partition, mais qui sait s’élargir lorsque son personnage s’ouvre à l’amour. Sa voix concentrée est bien projetée.
Anaïs Constans chante le rôle de la servante Lampito de sa voix large au timbre riche aux reflets mordorés et au vibrato aux belles ondulations. En Cynalopex, François Rougier expose une voix mate au grain chaud tandis que Patrick Bolleire (Agoragine) place une voix ferme et profonde, bien projetée.
Le Chœur du Concert Spirituel, quelques jours après sa performance mitigée pour La Fille de Madame Angot, retrouve ici toute sa précision, un phrasé travaillé et un son rayonnant, bien que leur chef leur tourne le dos. Lorsque celui-ci se retourne pour diriger les grelots joués par ses choristes, sa mine heureuse reflète la qualité de l’interprétation de son ensemble.
Le public répond avec enthousiasme à cette découverte. Hervé Niquet dirige comme à son habitude les saluts avec autorité, les rythmant de la voix, donnant même des indications sur la vitesse d’exécution des inclinations, ce qui fait rire les solistes. Rendez-vous est d’ores-et-déjà donné en 2022 pour la sortie de cet opus sous le label Bru Zane.