Double Lundi Musical à l'Athénée
Le premier de ces deux lundis musicaux en un même soir est un récital à part entière, et même à deux parts entières et à parts égales. Alphonse Cemin & Alain Planès dialoguent et font résonner entre eux les instruments, les morceaux, les compositeurs, annonçant de manière fascinante le dialogue entre piano et voix qui viendra en deuxième partie de soirée (dans ce second lundi en un). À l'image de ces deux pianos à queue qui s'emboitent l'un face à l'autre, les deux musiciens échangent et conversent dans un dialogue où les caractères s'épousent et se renforcent, où les lignes mélodiques se mêlent et s'entremêlent, où les harmonies s'appuient et se soutiennent mutuellement.
Le concert à deux pianos, loin de contraindre chacun des instrumentistes à devoir réduire son jeu pour trouver un consensus moins-disant avec l'autre, leur permet de renforcer mutuellement leurs qualités expressives. Il en va de même pour le caractère des jeux instrumentaux et celui des morceaux, renforçant les styles et la diversité des compositeurs au programme.
Mozart (Sonate K448) emprunte ici des sons de clavecin (dans les trilles et ornements que se renvoient les pianistes, tels des pongistes) et convoque aussi bien la nostalgie de Chopin que la pompe de Rossini. Pour Debussy (En blanc et noir), les phrases s'arrondissent ou s'élancent en rondes et farandoles, deviennent roulis marins avec des pointes d'écume argentée (comme s'il s'agissait d'une rencontre entre deux autres œuvres de ce compositeur : le Children's Corner qui flotterait sur La Mer). Schumann ouvre et referme (par un bis) ce -premier- lundi pianistique et fait le relai avec le lundi lyrique qui s'enchaîne. La soprano Dorothea Röschmann et le pianiste Magnus Svensson commencent leur tour de chant par Gedichte der Königin Maria Stuart, annonçant d'emblée les couleurs, ici aussi dans les mêmes riches qualités de dialogue entre ces deux musiciens, d'intenses délicatesses (à l'image de tout le programme). Au chant comme au piano, chaque déclaration de ces poèmes (Wunderhorn-Lieder de Mahler, Möricke-Lieder et Lieder der Mignon d'Hugo Wolf) est exprimée avec clarté et intensité. La chanteuse s'élance à chaque nouvelle émotion dans une déclamation d'amour lyrique (aussi bien pour l'humanité, le Christ, la nature ou les éléments). Sa voix est riche en caractère, sur toute la tessiture et toutes les nuances, de l'éloquence à la prière. Le grave est appuyé, poitriné quand nécessaire, le médium souple et solide, les aigus rayonnants ou d'un lyrisme très déployé. La ligne vocale, toujours appuyée sur le sens des parole, traverse à l'envi, et en pleines résonnances, les registres, placements, émotions, vocalités (chambristes ou opératiques et toute la gamme entre, comme pour les nuance, du piano au forte, avec tous les crescendi et decrescendi intermédiaires). Les élans de joie guillerets retombent ainsi d'autant mieux dans la triste nostalgie.
La seule question que pose en somme cette voix consiste à savoir si les quelques creux vocaux parsemant ici et là sa ligne de chant sont une question de moyens vocaux ou un choix expressif, un doute qui se lève progressivement à mesure que les Lieder se font plus exigeant et nourris, mais que devrait sans doute balayer une nouvelle prestation de la soprano dans un opéra (d'autant que l'expressivité dramatique est déjà richement déployée, en récital). Le pianiste Magnus Svensson qui vient pourtant ici en remplacement de Malcom Martineau, dialogue pleinement avec toute la palette expressive de la chanteuse. L'accompagnateur vit chaque phrasé dans sa pleine intensité (de la petite mélodie tendre jusqu'à la transposition au clavier d'un grand orchestre) tout en chantant des lèvres (silencieusement) les paroles avec la chanteuse, et phrasant des épaules.
Ce dernier lundi musical de la saison est bien évidemment dédié par les artistes (et les applaudissements du public) et via la voix d'Alphonse Cemin qu'il a nommé directeur musical, à Patrice Martinet : Directeur de l'Athénée qui a ressuscité en 2014 les légendaires lundis musicaux et qui conclue ici sa dernière saison avant de céder la place à Olivier Mantei et Olivier Poubelle. Avant cela, le mois de juin est aussi riche que la reprise culturelle a été attendue : dans la foulée des Sept Péchés capitaux et de ce Double lundi musical, Pelléas et Mélisande puis Powder Her Face sont à l'affiche et à retrouver prochainement en compte-rendu sur Ôlyrix.
Röschmann in superb form and Planes/Cemin excellent too @theatreathenee pic.twitter.com/zkl5gJ4U8N
— Simon Morgan (@SP_Morgan) 7 juin 2021