Grand gala lyrique à l’Opéra de Tours
La saison interrompue de l’Opéra de Tours n’a pas permis à son public de découvrir la production tant attendue de La caravane du Caire de Grétry, en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane. Néanmoins, ce Festival de réouverture est l’occasion rêvée pour que la distribution de chanteurs solistes, aussi talentueux que jeunes, sous l’engagée direction du Maestro Hervé Niquet, offrent un réjouissant gala lyrique pour célébrer les retrouvailles avec le public.
À peine monté sur scène, Hervé Niquet donne le départ aux musiciens de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours qui démarrent alors en trombe « Les chasseresses » extrait de Sylvia de Léo Delibes. Les cuivres et les timbales s’en donnent déjà à cœur joie, la petite harmonie et les cordes luttent avec brio. Cette entrée triomphale impressionne les spectateurs, dont certains laissent échapper des « wah ! » enthousiastes. Le chef d’orchestre Hervé Niquet se montre fidèle à lui-même : en grande forme et aimant interagir avec son public. Il partage son bonheur de le retrouver et, bien que les costumes et les décors de La caravane du Caire d’André-Ernest-Modeste Grétry n’attendent qu’à être montrés, il confie également son regret de ne pas pouvoir monter cette production comme prévu. Néanmoins, toute la troupe est présente et, en avant-goût inédit de ce qui n’est qu’un report, va pouvoir interpréter quelques-uns de ses airs. Après cette première partie, le programme joliment concocté fait entendre des airs et des duos extraits du répertoire français d’opérettes. Amoureux des perles rares, Hervé Niquet propose ainsi la (re)découverte de compositeurs et d’œuvres qui connurent leur heure de gloire avant l’injuste oubli. Chacun des six solistes a ainsi son moment pour enchanter le public de l’Opéra de Tours.
Première à faire entendre sa voix lumineuse, la soprano Florie Valiquette semble d’abord à la peine pour suivre l’orchestre mais sait enchanter les auditeurs par son beau timbre clair, particulièrement dans les aigus, et son agilité vocale dans la "Valse tyrolienne de Rosita" extrait d'Un mari à la porte de Jacques Offenbach. Dans l’extrait "Malgré la fortune cruelle" de La caravane du Caire, elle répond au ténor Mathias Vidal, fervent défenseur de la déclamation du français, toujours extrêmement intense, soigné et ainsi limpide. Lors de son interprétation du récit et du rondeau de Florival, extrait d'Une Folie d'Étienne Nicolas Méhul, l’auditeur ne peut que savourer la moindre de ses syllabes qui gagnent chacune une expressivité nuancée et signifiante.
De sa voix aisément puissante, sa présence scénique intense et son indéniable maîtrise vocale, la soprano Chantal Santon-Jeffery incarne une esclave éclatante dans La caravane du Caire ("Ne suis-je pas aussi captive ?"). Elle sait jouer de ses allures de diva lors de l’air de la Corilla de Vert-Vert d’Offenbach, dont le jeu comique, qui ne gêne en aucun cas son impressionnante agilité vocale, ravit à son tour le public.
Le ténor Enguerrand de Hys a beau chanter "C’est la triste monotonie" (La caravane du Caire), jamais ses interventions n’en souffre grâce à sa voix agréablement timbrée, ses aigus jamais agressifs et son agilité précise. La mélodie Pensée de printemps de Jules Massenet est très touchante. Si, lors de leur duo des petits valets de Maître Péronilla d’Offenbach, les deux ténors démontrent des timbres très différents l’un de l’autre, ils possèdent chacun leur propre personnalité sans rivalité, Mathias Vidal ayant une voix plus puissante et active, Enguerrand de Hys ayant quant à lui des phrasés plus souples et une certaine fraîcheur.
Le baryton-basse Douglas Williams séduit immédiatement en avouant "Oui toujours j’aimais la France" (La caravane du Caire). Sa présence scénique naturelle en est certainement l’une des causes, la générosité de son timbre et sa diction en sont deux autres. Il séduit également lors de son air "Scintille diamant" des Contes d’Hoffmann d’Offenbach.
Enfin, la soprano Marie Perbost captive par sa fraicheur, son regard animé, ses aigus agréablement perçants. Elle convainc pleinement lors du duo avec Mathias Vidal extrait de Lancelot de Victorin Joncières, un de ces petits trésors oubliés qui, ainsi défendus, donnent envie d’en entendre davantage.
Aimant se mettre en scène, Hervé Niquet se montre faussement jaloux des applaudissements nourris pour les solistes et propose alors d’interpréter lui-même un extrait de l’opérette L'Auberge du Cheval Blanc de Ralph Benatzky, "On a l’béguin pour Célestin". Son jeu d’acteur à la gestuelle comique, son aisance scénique naturelle et son texte parfaitement intelligible poussent certains spectateurs enthousiastes à crier "On a l’béguin pour vous !". N’en déplaise au chef, cette déclaration est juste. Car si Hervé Niquet est assurément un personnage qui aime la scène, il possède également la modestie de laisser la place aux chanteurs ou à l’orchestre, pour lesquels il montre une belle confiance. Si le chef d’orchestre anime parfois la direction musicale par ses gestes amples et sa présence engagée, il sait s’en détacher et laisser les musiciens seuls. Il est vrai que l’Orchestre Symphonique tourangeau en est capable, ne faisant jamais défaut d’homogénéité ou de manque d’ensemble. L’orchestre sait être un bon accompagnateur, présent sans couvrir, tout en étant capable de partager des pages enthousiastes, comme la joyeuse et entrainante fanfare The Stars and stripes forever de John Philip Sousa ou l’endiablée et amusante polka Unter Donner und Blitz de Johann Strauss. L’interprétation agile et précise, bien que les phrasés puissent légèrement manquer de souplesse et de nuances, du percussionniste Nicolas Zanlonghi est saluée pour son intervention solo dans le fameux The Typewriter de Leroy Anderson, œuvre pour orchestre et machine à écrire.
C’est avec le joyeux et triomphal finale de La Vie Parisienne d’Offenbach, qui reviendra en intégralité à l’Opéra de Tours en décembre prochain, que l’orchestre et tous les chanteurs terminent cette superbe célébration qui n’a pas manqué de ravir le public qui pourrait aisément reprendre lui aussi et tout aussi enthousiaste, la conclusion de La caravane du Caire : « Rien n’égale mon bonheur ! »