L’Opéra-Théâtre de Metz délivre le prisonnier Florestan, dans Fidelio
Dans ce bâtiment d’un style Second Empire, l’Orchestre national de Metz s’installe en même temps que le public. L’effectif espacé impose que les pupitres des cordes remplacent les premiers rangs du parterre, les autres musiciens restant dans la fosse. Hormis Stefano Meo et Léonie Renaud, les chanteurs et chanteuses principaux débutent à l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole.
La conception vidéo, par Virgile Koering, sur écran en fond de scène, ajoute de la profondeur et de la mobilité à l’espace. S’agissant la plupart de temps de mouvements lents de murs symboliques, la thématique de l’enfermement rencontre celle de la liberté, très chère à Beethoven, connu pour ses convictions révolutionnaires. En ajout ponctuel, une diffusion par haut-parleurs crée notamment des effets de canons ou de brouhaha.
Après l’annonce sanitaire en voix-off, au démarrage raté mais rattrapé, et après l’accord de l’orchestre, l’arrivée du chef David Reiland donne un parfait prétexte au public messin pour encourager l’ensemble des actrices et acteurs du spectacle. L’opéra, joué en entier dans la dernière version consolidée par les choix de Gustav Mahler, est joué avec un entracte de plus de vingt minutes permettant d'aérer des lieux, et finit une dizaine de minutes avant le couvre-feu de 21 heures.
L’Orchestre démarre par une première ouverture qui coïncide avec un lever de rideau. La scène est quasiment vide, donnant sur un décor initial formé d’une chaise, deux tabourets et une table. Tout au long du spectacle, la scénographie, par Paul-Émile Fourny et Patrick Méeüs, ira crescendo, jusqu’au décor de la geôle de Florestan, au mur symbolisant un regard d’accès d’égouts, et ces montagnes de vieilles poupées en tas et en mur.
La première scène commence avec le duo Marzelline/Jaquino, interprété par la soprano helvétique Léonie Renaud et le ténor chinois Yu Chen. La soprano lyrique, en robe blanche sale, privilégie les voyelles, d’un vibrato romantiquement ample, et cherche à gagner prudemment une puissance qu’elle atteindra dans la deuxième partie de l’opéra. Le ténor, habillé en égoutier, offre sa voix plus puissante, sur la même typologie de vibrato, formant assez naturellement le couple à la scène. Malgré quelques décalages dans la première scène avec l’orchestre, son sens du jeu théâtral, comme celui de Léonie Renaud, plonge efficacement le public dans l’histoire.
L’arrivée de Rocco, incarné par Franz Hawlata, qui avait interprété magnifiquement Pangloss dans Candide de Bernstein au Komische Oper, marque un premier tournant dans l’histoire, et dans le jeu. Cet habitué de la comédie, dont la voix familière parvient aux oreilles de l’auditoire d’abord hors-scène, joue de sa ligne de basse au timbre clair, mais sonnant comme un baryton soucieux de l’intelligibilité du texte. Il ajoute à son jeu naturel un vibrato épais pour se fondre en bon camarade au paysage sonore, détimbrant au passage sa voix dans le registre medium-aigu pour paraître aussi vieux que son personnage.
Accompagné de six figurants armés, Don Pizarro, gouverneur de la prison, trouble la situation initiale. Ce personnage qu’incarne Stefano Meo donne de sa personne et de sa voix. Le baryton, habitué aux airs de Verdi, se promène, visage défiguré, vêtu d’un costume noir rappelant la description de la police du roman 1984 de George Orwell. Son timbre rond et un grand potentiel de puissance correspondent bien à son personnage de méchant. Mais dans son vibrato ample, sa voix est tout de même masquée par les puissantes nuances de l’orchestre, notamment après le duo Leonore/Rocco. Il compte fort heureusement sur sa présence scénique pour compenser ce défaut d’équilibre sonore.
Leonore, femme aux intentions masquées, se présente d’abord comme l’employé (masculin) de Rocco nommé « Fidelio ». Deirdre Angenent, mezzo-soprano, incarne avec intention cette mission de retrouver, puis de faire libérer son mari Florestan, prisonnier politique. Elle transmet d’une voix bien ronde et chaleureuse cette conviction de battante. Malgré l’acoustique sèche de la salle et du plateau, qui demande un souffle très nourri (et malgré un registre aigu qui se montre légèrement poussif), sa projection très large parvient à toutes les oreilles et sa diction s'offre suffisamment intelligible.
Les deux prisonniers Bo Xin / Éric Mathurin et Nathanaël Kahn, interviennent dans la scène des incarcérés, avec le Chœur de l’Opéra-Théâtre, tous habillés salement et en masque noir de circonstance. Les ténors et la basse intelligibles s'appuient sur leur bonne projection et celle du Chœur, le premier d'une voix légèrement plus claire que les seconds.
Le puissant ténor Kristian Benedikt se montre absolument à l’aise dans le rôle d’un Florestan, qui, même prisonnier conserve la force de ses convictions, sans filtre. Sa voix est stable et articulée, il laisse sans hésitation des espaces de silences entre les mots, et se démarque par un vibrato différencié selon le registre. En toute circonstance, il montre ses capacités à surpasser les masses des forte à l’orchestre, et sans même paraître faire d’effort.
L’arrivée du deus ex-machina, Don Fernando, alias Thomas Gazheli, marque le dénouement de l’opéra. Son rôle en tant que Ministre lui confère une autorité respectée dans la mise en scène, et dans le choix de son costume, rappelant l’habit de général romain, la couronne de laurier en moins. Il offre une voix de baryton-basse d’un vibrato large et d’une capacité de projection suffisante (plus à l’aise dans son registre aigu). Après quelques grimaces, les yeux exorbités et la consonne explosive, d’un doigt levé il ordonne l’arrestation du Gouverneur, dans une scène aussi expéditive que la fin de l’opéra.
La puissance du Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz (préparé par la cheffe Nathalie Marmeuse) va croissante, comme la lumière finale, venant saturer l’espace de sa voix collective, dans cette fin aussi puissante et révolutionnaire que son illustre compositeur.
Le public offre cinq minutes d’applaudissements en fin de spectacle et nul doute qu'il aurait continué si le couvre-feu n'était venu limiter ses propres intentions.