Pretty Yende à Genève, voix solaire pour éclairer les jours nouveaux
Après l’apocalypse, l’éclaircie. Et la lumière, là bas, au bout du tunnel. Tel est l’espoir, en tout cas. Reste que, quatre jours après un Didon et Enée de chair et de choc scéniquement conclu dans le brouillard et le chaos de la fin du monde, le Grand Théâtre de Genève propose, sans transition, un récital avec une tête d’affiche prestigieuse, un programme alléchant... et du public ! À jauge certes encore extrêmement limitée -50 personnes- mais nul (même en streaming) ne saurait bouder son plaisir de réentendre une salle respirer, toussoter même, et applaudir chaleureusement bien entendu. Et pour qui n’avait pas de billets, restait donc l’option du streaming payant (au prix modeste d'environ 10 euros) pour profiter d’un moment musical empli d’émotion et de fraîcheur porté par une artiste n‘en finissant plus de monter vite et haut au firmament des étoiles lyriques de son rang.
Vue in loco pour la première et la dernière fois en date en Pamina il y a cinq ans de cela, Pretty Yende remonte sur la scène du GTG pour un récital convoquant aussi bien le romantisme allemand (Schumann, Richard Strauss) que le bel canto italien (Donizetti, Rossini). Deux répertoires, et deux ambiances, dans lesquelles la jeune soprano sud-africaine démontre toute l’étendue d’une palette vocale aux multiples facettes, riche d’une technique remarquable et depuis longtemps remarquée sur les plus grandes scènes du monde. Fraîcheur et musicalité irriguent ainsi les Lieder de Schumann qui ouvrent les réjouissances, et dans lesquels la voix, déjà, est d’une sonorité aussi généreuse que le timbre se montre fleuri et rayonnant. La ligne de chant est impeccablement homogène et les notes aiguës, émises avec une puissance d’un naturel désarmant, côtoient dans un même transport émotionnel des phrases aux nuances bien plus retenues, offrant là d’entendre une remarquable variété de couleurs vocales et d’ambiances sonores. La diction de l’allemand est soignée, avec des consonnes dont l’appui marqué semble constituer comme le socle d’un fil vocal cousu d’or nanti d’un souffle long et délicat.
Entre ferveur et poésie
Vient ensuite un répertoire italien, donc, avec des mélodies de Gaetano Donizetti trouvant ici une interprète de premier choix. Dans une barcarolle, une chanson napolitaine puis une romance issues des Nuits d’été à Pausilippe, vient comme une envie de chantonner et de battre le rythme du pied (ou des mains, c’est selon) à l’écoute d’une voix entraînante et résolument expressive. La soprano chante là avec un entrain et un plaisir en tous points communicatifs, la gestuelle se faisant de plus en plus ample à mesure que l’ambitus, sans jamais perdre en homogénéité, semble s’épanouir davantage en largeur. La fougue et l’émotion transpercent dans le chant, comme ensuite dans cette interprétation vibrante et passionnée (dans un français semblant à l’artiste moins familier que l’italien) de l’un des grands airs de Lucia di Lammermoor, “Que n’avons-nous des ailes”, conclu par des vocalises acrobatiques et des aigus gaillards. Les mélodies poétiques de Paolo Tosti (parfois présenté comme un “Elton John de la fin du XIXe siècle”) appellent à moins de vertige, mais n’en demeurent pas moins charmantes et permettent une nouvelle fois à la soprano, dans son lyrique élan, d’étaler toute l’élasticité de sa voix et sa force expressive, avec une nouvelle fois un subtil et maîtrisé jeu de nuances (même si le mezzo voce paraît par moments trop peu mezzo, précisément).
De retour à l’allemand, mais dans des pièces de Richard Strauss cette fois-ci, l’artiste trouve comme une maturité vocale seconde dans l’interprétation de mélodies tout aussi poétiques que les précédentes, la puissance dramatique en plus. La voix est triomphante de projection, le vibrato ondule joliment, et toute la puissance narrative du texte, oscillant entre enjouement et solennité, se trouve pleinement restituée. Toujours chez Strauss, même cette fois chez Johann II, la prestation est tout aussi aboutie sous les traits de Rosalinda (La Chauve Souris), dans une “Csárdás” entraînante où l’ambitus est balayé sur toute la largeur par d’hardies envolées lyriques ne manquant pas de soulever le vif enthousiasme d’un public comblé et qui en vient, évidemment, à en redemander. Demande à laquelle la vedette du soir accède bien volontiers en endossant l’un de ses rôles fétiches, celui de Rosina, gratifiant son auditoire d’un “Una voce poco fa” généreux en tout : sonorité, musicalité et sens lumineux de la colorature. Du bel canto du plus bel ouvrage, venant conclure une soirée qui n’aurait su être si parfaite sans la prestation impeccable, derrière son piano, de Michele d’Elia, valeur sûre dans l’accompagnement régulier des plus grands et des plus grandes dont, assurément, Pretty Yende fait définitivement partie.