Ariane à Naxos à huis clos à Anvers
Pour cet Ariane à Naxos en version de concert, l’Orchestre Symphonique de l'Opéra Ballet de Flandre et le chef Alejo Pérez se trouvent placés sur la seconde partie de la scène de l’Opéra d’Anvers, les solistes intervenant depuis le proscénium. Une captation audiovisuelle de proximité permet ainsi d’apprécier tant l’implication directe des interprètes vocaux, que celle des musiciens, notamment pour ces derniers leurs interventions comme solistes assez nombreux dans cet ouvrage. Musicalement, le plaisir de l’écoute ne se relâche à aucun moment tant la direction d’Alejo Pérez, tout en subtilité et pleinement chaleureuse, parvient à traduire au mieux la multiplicité des situations et des caractères des personnages mais aussi l’équilibre de cet ouvrage atypique constitué d’un acte unique précédé d’un vibrant Prologue.
Ce Prologue se trouve dominé par la troublante prestation dans le rôle du Compositeur de Raehann Bryce-Davis. Dotée d’une voix ardente aux accents chaleureux, puissante, aux graves mordorés, la mezzo-soprano américaine puise dans toutes ses multiples ressources pour incarner ce personnage de jeune compositeur candide, malmené, bouleversé par la remise en cause de son œuvre idéalisée et de sa vision d’Ariane à Naxos. Sans jamais bousculer sa ligne de chant dans les moments de colère ou de désespoir, sans jamais accentuer artificiellement les accents, la jeune cantatrice révèle un tempérament qui doit encore légitimement gagner en intensité au fil de la représentation.
Comme Prima donna au Prologue puis en Ariane, la soprano Carla Filipcic Holm ne manque pas d’atouts. Sa grande voix pulpeuse, aux graves généreux, s’élève sans effort et avec souplesse, conférant à la fameuse et bouleversante plainte d’Ariane "Es gibt ein Reich, wo alles rein ist" (Il est un royaume, où tout est pur), toute la plénitude requise.
Pour sa part, Lisa Mostin incarne une Zerbinetta de qualité mais principalement démonstrative, habile virtuose mais qui manque un peu de corps et d’épaisseur pour pleinement convaincre. Un vibrato un rien accentué s’installe dans les aigus, alors que le suraigu s’offre avec plus de sûreté et de présence.
Le rôle ingrat de Bacchus ne présente pas de difficultés particulières pour le ténor Michael Weinius qui se distingue par sa solidité n’excluant pas d’ailleurs l’expressivité. Le trio des Nymphes constitué d’Elisa Soster (Naïade), Raphaële Green (Dryade) et Chia-Fen Wu (Echo) reste globalement un peu discret, presque trop effacé par rapport aux autres solistes. Par contre, le baryton Leon Kosavic comble d’aise tant en Maître de Musique qu’en Arlequin : il possède toute la singularité et la facilité voire l’éclat vocal ici indispensables.
Dans le rôle du Majordome au sein du Prologue, le jeune comédien au physique juvénile, Freek De Craecker, se tire d’affaire avec efficacité et dextérité, conférant à ce personnage traditionnellement antipathique et plein de morgue, une dimension plus plaisante, comme s’il s’amusait avec malice des modifications fondamentales exigées par son maître dans l’exécution de l’opéra seria désormais mélangé avec l’opéra buffa.
Les autres rôles se trouvent particulièrement bien distribués que ce soit avec le ténor aigu au timbre clair et lumineux Denzil Delaere en Maître à Danser puis en Brighella, la basse aux graves très affirmés Goran Jurić -Truffaldin-, le ténor Stephan Adriaens réjouissant Scaramouche. Les plus petits rôles sont tenus avec métier par Davy Smets (Un Officier), Thierry Vallier (Un Perruquier), Onno Pels (Un Laquais).
Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss ont confié au personnage central du Compositeur, lors de sa dernière intervention au sein du Prologue, leur intime et exaltante définition de la musique : "L’Art sacré de réunir toutes sortes d’états d’âme, comme des chérubins devant un trône resplendissant ! et c’est pour cela, qu’elle est sainte parmi les autres arts, La Sainte musique !" Ce qui était vrai lors de la création de la seconde version d’Ariane à Naxos en 1916, le demeure tout aussi puissamment en cette année 2021.