Les Noces de Figaro en direct confiné depuis l'Opéra d'État de Vienne
Toujours dans la série «Wir spielen für Österreich» (Nous jouons pour l'Autriche), l'Opéra d'État de Vienne propose une nouvelle retransmission en direct (livestream) avec Les Noces de Figaro. Mais en lieu et place de la nouvelle mise en scène signée Jean-Louis Martinoty (décors d'Hans Schavernoch, fréquent collaborateur d'Harry Kupfer) reprise entre 2014 et 2019, c'est la production classique de Jean-Pierre Ponnelle (immortalisée en 1976, avec Dietrich Fischer-Dieskau incarnant le Comte Almaviva) qui est reprise sous la direction de Grischa Asagaroff en direct et à huis clos.
La mise en scène, un grand classique bien connu et adoré du public lyrique, est à la fois un rappel et un monument de l'héritage esthétique du maître. L'exigence de précision se mêle à celle de la beauté illustrative dans chaque décor des quatre actes. La chambre rustique de Susanna dans le premier, la chambre noble mais froide de la Comtesse dans le deuxième, l'intérieur d'une église médiévale dans le troisième, et le plus remarquable, le jeu des silhouettes et des nuances de bleu nocturne dans un jardin impérial dans le quatrième offrent une représentation réaliste touchée par une optique onirique.
Andrè Schuen, qui incarnait in loco à Vienne le rôle-titre d'Eugène Onéguine en octobre 2020, revient pour le rôle du Comte Almaviva (qu’il incarnait à Nantes en 2017 dans la version Caurier & Leiser). Sa solidité et sa flexibilité vocales, couplées avec un jeu d'acteur remarqué, lui permet de saisir toutes les facettes de l'anti-héros à la fois charismatique, téméraire et empli de désirs, sans cependant réduire le personnage à ses clichés. Cela est aussi dû à son timbre doté d'une brillance naturelle. L'éventail vocal est couvert avec sûreté, flexibilité, chaleur, et rendu encore plus frappant par une belle diction.
Federica Lombardi se montre digne, de bout en bout, en Comtesse Almaviva, sensible sans être trop sentimentale dans son jeu d'actrice comme dans son interprétation vocale, couplant harmonieusement son timbre velouté et une expressivité bien réfléchie. Les transitions entre récitatif et aria sont faites avec naturel, de même que les transitions entre les registres. Le registre haut, notamment, impressionne par son caractère cristallin. Loin d'être aigu et froid, il se répand sur la mélodicité bien assurée du chant. Dans le duo avec Susanna (Louise Alder), dont le timbre est également velouté mais plus mat, la combinaison des voix s'avère mutuellement profitable. Dans le duo de l'acte II avec le Comte, qui assure le registre bas par une résonance vocale solide, c'est la brillance chaleureuse du registre haut qui est mise en valeur.
Le baryton canadien Philippe Sly souligne le côté badin et rusé de Figaro dans les conventions de la comédie, mais pimentées de sarcasme et d’une bonne humeur efficacement communiqués grâce à la netteté de sa diction. Le timbre valorise sa résonance ronde et chaleureuse dans le récitatif comme dans l'aria. L'expressivité vocale reste solide malgré des mouvements corporels sautillants et permet au chanteur de vaquer entre les registres avec aisance. La puissance vocale et la couleur légèrement sombre du timbre se font notamment remarquer en comparaison avec Susanna et le Comte.
La soprano britannique Louise Alder enchante dans le rôle de Susanna. Belle, pétillante et dynamique, elle attire l'attention dès son entrée. Cet attrait scénique est égalé par la densité, la chaleur et l'expressivité de la voix qui puise dans le caractère velouté du timbre. La densité vocale est mise en valeur dans le registre médian, notamment dans les montées vers le registre haut, où sa résonance ressort dans toutes ses nuances. En outre, la bonne diction et les intonations réfléchies lui permettent d'assurer des transitions aisées entre le récitatif et l'aria.
Virginie Verrez en Cherubino met la clarté et la maîtrise vocales en valeur pour souligner la naïveté du personnage et le rend attachant. Stephanie Houtzeel (Marcellina) montre le comique du rôle sans en faire trop et fait preuve d'une expressivité vocale aisée. Elle forme un couple charmant avec Evgeny Solodovnikov (le Docteur Bartolo), dont la densité et la richesse de timbre s'imprègne d'une dignité naturelle. Marcus Pelz (Antonio), Johanna Wallroth (Barbarina), Josh Lovell (Basilio) et Andrea Giovannini (Curzio) apportent un appui apprécié malgré leur brève présence scénique, comblant une distribution fort distinguée et bien choisie.
La direction musicale de Philippe Jordan valorise la précision et le soin du détail, notamment les nuances et la profondeur de la masse sonore. La collaboration entre les cordes dans tous les registres et les vents assure le fait que les transitions entre dynamiques et changements de facettes de la masse sonore retiennent les tensions dramatiques pour les bons moments. Et par-dessus tout, l'accompagnement musical soutient et encourage les chanteurs. Le Chœur, sous la direction de Thomas Lang, apporte un grand enthousiasme à la fois dans le décorum et en contrepoids des solistes.