Don Pasquale enchante une nouvelle ère à l'Opéra de Tours
Don Pasquale de Donizetti offre bien des avantages en ces temps de pandémie, notamment celui d'être un divertissant opéra buffa porté par seulement cinq solistes et avec seulement quelques courtes, tardives et ponctuelles interventions du chœur. Les solistes, devant un rideau noir, gardent leurs distances latérales en restant à l'avant-scène mais interagissent et communiquent par l'éloquence de leurs gestes, regards et bien sûr de leurs voix, colorées ou résonnantes. Néanmoins, la version est bien signée et défendue par un metteur en scène, Nicola Berloffa. Effectivement, même l'absence de tout décor devient une scénographie par le vide et par l'épure, renvoyant à la fois au contexte de cette production (sauvée du néant pour la vidéo), de notre monde actuel mais aussi au contenu de cette tragi-comédie où les personnages dupent et se font duper en faisant croire à des choses (et des amours) qui n'existent pas. Le spectacle se ressert donc sur le jeu des chanteurs et l'expressivité démonstrative des voix lyriques, d'autant que le casting est éloquent et sait même jouer des peurs actuelles (se poursuivant, menaçant -sans le faire- de violer les protocoles sanitaires, comme leurs personnages le font des conventions et des passions). Le rideau noir ne se relève que sur un autre rideau sombre laissant voir le Chœur maison espacé sur des estrades. Les choristes masqués offrent à travers tous ces filtres et protections des interventions appliquées.
En l'absence de public, les instrumentistes de l'Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours ont également pu prendre leurs aises et leurs distances, à travers la fosse, élevée au niveau du parterre mais aussi sur une bonne partie de celui-ci (des rangs de sièges ayant été ôtés). Les percussions et la harpe sont toutefois installées en loges latérales, rappelant les dimensions sonores de cette partition qui sont rendues dans de précieux mariages de timbres (notamment cordes et bois), mais avec moins de précision dans les pupitres graves et aigus. Frédéric Chaslin s'est muni d'une longue baguette pour la direction musicale, afin que même ses gestes fouettés se prolongent en des mouvement souples. Sa battue est ainsi à la fois énergique et élastique, rythmée et posée, rendant pleinement les qualités musicales de cette œuvre mariant les cavalcades aux lents élans de valse.
La distanciation à la fois physique et théâtrale dans les rapports entre les personnages est d'autant plus clairement présentée qu'elle se construit en fait dans cette œuvre et cette mise en espace sur des duos (même trio et quatuor -avec ou sans notaire- forment autant de duos croisés synchronisés, les voix et les complots se répondant deux par deux). Les deux seuls accessoires sont d'ailleurs deux sièges de velours rouges (métaphore du théâtre réduit à peau de chagrin et perdu dans le noir), deux sièges espacés, côtés jardin et cour, où vont trôner les vainqueurs des marivaudages et s'effondrer les vaincus.
Le duo de barytons à l'affiche domine la soirée par sa pleine et constante complémentarité. Les deux hommes dessinent leurs caractères, pourtant opposés et en opposition, par des moyens semblables en éloquence : deux voix et trempes sonores, épanouies, investies. Les accents sont marqués, déployés et toujours nourris. Laurent Naouri met ainsi sa voix et son jeu au service de l'antihéros mais qu'il parvient même à rendre touchant de sincérité. Barbon dupé et malade-droit imaginaire, ses gesticulations sont pesées comme une pantomime au service du chant comme du récitatif, très investis et toujours aussi intelligibles qu'intelligents.
Florian Sempey met son volume sonore et l'articulation de sa prosodie au service d'un Malatesta malin et enjôleur, vocalisant amplement et aussi longuement que son personnage a mûri ses plans. Le timbre a une rondeur immensément généreuse mais structurée autour d'un puissant cadre cuivré. Les montées vocales sont souveraines et soutiennent la richesse de la partition comme du personnage : Florian Sempey (s')amuse et s'épanouit toujours autant. Les deux chanteurs assument les vertigineuses accélérations de la partition et relèvent les défis d'alacrité d'articulation qui n'ont rien à envier aux embardées Rossiniennes.
Anne-Catherine Gillet en Norina, unique personnage féminin, tient une place également centrale, nœud de toutes les unions et manigances. Sa voix se fait d'autant plus piquante dans ses vocalises colorées qu'elle gagne encore davantage de largesse dans son médium et dans l'assise vocale après l'entracte (estompant une justesse un tout petit peu basse). La force du caractère s'en épanouit d'autant mieux que le vibrato se desserre.
Sébastien Droy (Ernesto) semble hélas davantage encore souffrant que soupirant. Son chant très voilé laisse difficilement percevoir un vibrato serré et une voix couverte qui lui permet de chanter jusqu'à l'aigu. Le ténor se ménage notamment pour son grand solo (la sérénade Com'è gentil), d'autant qu'il n'y est accompagné que de la harpe ponctuée de légère percussion et qu'il est ici disposé en hauteur à l'avant de la loge présidentielle. La voix est un peu plus présente, surtout car mieux appuyée et car elle s'élance vers des aigus touchants, haletant à l'unisson de l'émotion ressentie par son personnage.
Enfin, François Bazola (habitué des lieux, notamment en tant que chef dans le cadre du Festival Concerts d’automne) est cérémonieux dans le jeu et dans la voix. Il vient dresser le contrat de mariage comme un maître d'hôtel prendrait une commande, avant de chanter d'une voix sonnante, ample et distante, large et défiante.
Cette distribution française (et belge) mise en scène par un italien demandé en France, porte et transporte ce Don Pasquale qui sera prochainement retransmis en ligne (nous vous en informerons sans faute) et d'autres programmes seront enregistrés en cette saison inaugurale (détaillée ici), en souhaitant qu'elle célèbre le retour du public en salles.