Prégardien, Père et Fils à la Philharmonie de Paris
Père et fils est un spectacle musical, un récital théâtralisé mêlant musique, poésie, théâtre et danse, composé de Lieder de Schubert, de deux Ouvertures orchestrales et d’un extrait du Christ au mont des Oliviers de Beethoven. Il s’articule en trois parties : enfance, adolescence et maturité jusqu’à la mort. Le parti pris de théâtralité est confirmé par le choix des versions orchestrées de certains Lieder de Schubert (orchestration de Max Reger, Johannes Brahms, Anton Webern et Clara Olivares), le lever de rideau étant suggéré par les grands accords de l’ouverture des Créatures de Prométhée de Beethoven.
L’enfance est évoquée avec passion dans la grande ballade Prometheus de Schubert qui apparaît comme un défi à toute autorité. Der Vater mit dem Kind suggère le rapport du père à l’enfant (moins habituel que celui de la mère à l’enfant) dans une paisible berceuse alors qu'Erlkönig (Le Roi des aulnes) dépeint l’angoisse de la mort de l’enfant et la détresse du père resté seul.
L’adolescence s’initie avec l’Ouverture de Coriolan de Beethoven, personnage remarquable pour son caractère intrépide et déterminé. Cette étape de la vie est également une période charnière emplie de doutes et de peurs, à l’instar de Jésus dans l’air « Meine Seele ist erschüttert » extrait du Christ au mont des Oliviers du Génie de Bonn. Le Lied Vom Wolkenmädchen (extrait de l’opéra Alfonso und Estrella) de Schubert évoque l’univers des légendes, héroïc fantasy tant apprécié par les adolescents.
La maturité est évoquée avec un Lied du Voyage d’hiver, Der Wegweiser, le héros n’ayant pas d’autre choix que de poursuivre sa route (« Eine Strasse muss ich gehen » je dois suivre une route), le chemin menant à une fin inéluctable évoquée avec effroi dans Der Doppelgänger (le double). La paix intérieure ne vient qu’avec l’acceptation de la mort (Totengräbers Heimwehe - Nostalgie du fossoyeur), celle-ci est évoquée dans la douceur de Nacht und Träume (Nuit et rêves) et le spectacle s’achève avec l’extatique Im Abendrot (Au Crépuscule).
Le père et le fils, Christoph et Julian Prégardien le sont dans la vie et c’est avec une complicité touchante qu’ils parcourent les méandres de cette relation père-fils en incarnant leurs rôles, s’écoutant, se répondant et mêlant leurs voix dans certains Lieder arrangés à cet effet. Dans Nacht und Träume et Im Abendrot, leurs registres de ténor se marient parfaitement dans une émission commune. « Quand nous chantons ensemble avec Julian, nous jouons autour du fait que, tout au long de la soirée, le public ne sait plus qui chante quoi. Vous n’allez pas le croire mais en écoutant des enregistrements que nous avons fait ensemble je ne peux moi-même pas toujours affirmer avec certitude si c’est moi ou Julian » (Christoph Prégardien)
Ils partagent leur goût et leur talent pour la musique de chambre et le Lied où l’expression et la rigueur musicales priment. Ils se répartissent les différents personnages d'Erlkönig de Schubert qu’ils font vivre en usant de couleurs vocales particulières, qu’ils soient le père, le fils, le narrateur (en se répartissant les interventions) ou encore le terrible Roi des Aulnes chanté à deux voix dans une version arrangée à cet effet.
Cependant, de cette étonnante homogénéité, deux personnalités artistiques émergent. Le timbre clair et néanmoins puissant de Julian interpelle dès sa première intervention (Prometheus). D’une riche palette de nuances, il transmet une infinité d’expressions. Sa projection sonore s’adapte à la défiance de Prométhée et la suavité de sa voix mixte fait entendre l’enfant suppliant à la fin de l’air extrait du Christ au mont des Oliviers. Sa voix demeure au service de l’émotion, ainsi les aigus tendus dans Der Doppelgänger paraissent-ils autant de cris d’effrois.
Christoph se présente dans Greisengesang avec une voix ronde aux graves assurés et résonants. En parfait conteur, il incarne le Roi Troï racontant à son fils une légende allemande (Lied vom Wolkenmädchen), favorisant tantôt le legato tantôt la percussion des consonnes. En interprète de haut niveau, il délivre Totengräbers Heimweh (nostalgie du fossoyeur) tout en subtilité et assurance.
En miroir aux deux chanteurs, Thierry Thieû Niang et son filleul Jonas Dô Hùu incarnent chorégraphiquement le père et le fils, l’un de mouvements souples et l’autre de gestes plus saccadés. Ils évoluent dans le petit espace devant l’orchestre, leurs mouvements formant un contrepoint à la matière sonore et poétique. Les bras tendus semblent indiquer un chemin dans Der Wegweiser et la lumière qu’ils font tournoyer sur l’Ouverture des créatures de Prométhée, évoque son histoire (après avoir volé le feu aux dieux pour l’apporter aux humains, Prométhée donne vie à deux statues d’argile modelées). Les corps se croisent, se rencontrent, ne se touchant qu’à la toute fin (Nacht und Träume) dans des portés très tendres.
À la tête de la grande famille qu’est l’Orchestre de chambre de Paris ou au piano, Lars Vogt participe à l’exploration de la complexité de ce rapport fondateur. Son investissement est total dans une approche très humaine. « Nous nous battons pour la même chose, pour l’expression de la nature humaine, de ce qu’est la condition humaine. »
Nul applaudissement ne vient saluer les artistes car, afin de répondre aux exigences sanitaires (pas d’accueil de public dans les salles de spectacle), ce programme est enregistré. Il est diffusé sur Arte Concert et Philharmonie Live, où il reste disponible pendant six mois.