Les Contes de La Lune vague après la pluie à l'Opéra Comique
En 1953, Les Contes de la Lune vague après la pluie de Mizoguchi raflait le Lion d'argent à Venise et achevait de consacrer le réalisateur japonais -qui signait presque son 80e film-, comme l'un des maîtres du cinéma du XXe siècle. L'inspiration, Mizoguchi l'avait puisée dans deux récits datant du 18e siècle d'Ueda Akinari. Fable universelle sur la simplicité du bonheur, Les Contes de La Lune vague narre la lutte de deux hommes entre désirs et réalité, beauté et mort de l'art. Alors que le Japon est rongé par les guerres intérieures, le potier Genjuro et Tobe, ainsi que leurs épouses respectives Miyagi et Ohama, vivotent dans leur campagne. Le premier aimerait faire fortune en vendant ses poteries et le second rêve de devenir samouraï. Lorsque la guerre se rapproche du village, les deux hommes saisissent l'occasion de partir à la ville, à la poursuite de leur ambition de richesse et de gloire. Tandis que Tobe dépense ses seuls sous dans l'achat d'un équipement de guerrier, Genjuro succombe aux charmes envoûtants d'une princesse recluse dans son château. Pendant ce temps, le malheur s'abat sur leurs femmes esseulées. La réalité extirpe finalement les deux hommes de leurs illusions.
Judith Fa (Ohama) et Carlos Natale (Tobé) © Vincent Pontet
Après Le Marin (1999, d'après Fernando Passoa), Mémoires d'une jeune fille triste (2005, d'après Bernadim Ribeiro) et Les Aveugles (2006, d'après Maurice Maeterlinck), en 2009, Xavier Dayer jette à son tour son dévolu sur « cette histoire bouleversante d'une humanité et d'une beauté sidérantes ». Épurée, l’œuvre de Mizoguchi appelle une composition intimiste et se prête bien à l'opéra de chambre, que Dayer affectionne pour sa souplesse et sa concision : « L'opéra de chambre nous libère du déploiement de grands moyens qui caractérisent l'opéra traditionnel du XIXe siècle, il me semble plus adapté à notre époque ». Loin d'être épique, l’œuvre se veut humaniste : ici, pas de chœur, Dayer se concentre sur ses personnages. L'écriture orchestrale s'articule au déroulement du drame et a été conçue « comme une prolongation de l'action, en écho aux conflits intérieurs des personnages ». Composé de neuf musiciens, l'Ensemble Linea colle les protagonistes et fait la bascule entre monde fantasmé et monde réel. Percussions prégnantes et tutti préfigurant les illusions et ses tréfonds alternent avec les tonalités de la musique de chambre rappelant les personnages à leur réalité.
La palette vocale employée se veut étendue. Le potier perdu Genjuro est baryton, l'aspirant samouraï est ténor, la sage Miyagi est mezzo-soprano, la malheureuse dévoyée Miyagi est soprano la princesse ensorceleuse est soprano lyrique, tandis que les rôles secondaires hommes et femmes sont tenus par la voix haute-contre de David Tricou. Xavier Dayer a voulu privilégier la compréhension du texte chanté. L'écriture vocale bénéficie ainsi du parlé, du chant syllabique et du chant mélismatique, et dont chacun « rendent compte du rapport de chacun à la réalité et aux désirs ». Les hommes bercent leurs pulsions balbutiantes dans la répétition et les femmes rapportent leur sagesse dans une ligne vocale plus mobile et disjointe.
De gauche à droite : Judith Fa (Ohama), L. Bischoff (Genichi), Majdouline Zerari (Miyagi), Carlos Natale (Tobé) et Taeill Kim (Genjuro) © F Carnuccini
Par touches discrètes, l'opéra se teinte de l'univers japonisant de Mizoguchi. Le texte édulcoré est parsemé de haïkus -petits poèmes japonais-, tandis que la mise en scène de Vincent Huguet se charge de préserver l'universalité de la morale du conte. Les costumes sont contemporains, fluides et légèrement orientalisés. Minimalistes et stylisés, les décors fébriles illustrent l'écroulement des fantasmes des deux protagonistes. Les maisons sont vides et tombent, le brouillard et la fumée se relayent pour dérouter les personnages, le château s'habille de murs en carton fins et les échoppes sont suspendues dans le vide. À l'image de cette maison en cubes que construit le petit Genichi dans le finale, Dayer montre que le bonheur se consolide dans la simplicité.
(Crédits photographiques cover : © F Carnuccini)