Le Châtelet confiné "Ose Haendel" en streaming
Rien d'Osé a priori dans ce concert qui enchaîne sans présentation, explication ni silences (autres que quelques accordages et tournes de pages, parfois) des morceaux symphoniques et vocaux puisés à travers le catalogue opératique de Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Les opus se suivent, passant d'un caractère à l'autre, se refermant par leurs ouvertures avec comme seul point commun le génie de Haendel et les talents lyriques des interprètes.
Si ce concert devient osé, c'est donc du simple (mais si complexe) fait de son maintien : permettant de continuer à faire vivre la musique comme en d'autres salles même fermées et grâce à d'autres artistes à travers le monde. L'interprétation musicale et la réalisation audio-visuelle sont impeccables, les images de ce théâtre vide sont toujours aussi osées... idem pour les passions éternelles mises en musique par Haendel.
La diversité du programme permet de parcourir les sentiments, les nuances, les tempi et les timbres dans l'esprit d'un catalogue artistique. La Sinfonia inaugurale célèbre l'arrivée de la Reine de Saba (dans l'opéra Solomon) et marque ici le retour en grande pompe de la musique (de plus en plus rare et osée au Théâtre du Châtelet depuis sa réouverture, Covid ou pas). La beauté des timbres baroques sur instruments d'époque se sculpte et se déploie sur l'élégance des hautbois et les accents du clavecin dans l'immense velours de cet écrin vide. Elle bascule d'autant mieux vers la précipitation fougueuse d'Agrippina "Come nube che fugge dal vento". Ève-Maud Hubeaux en assume l'intensité avec de grands appuis, marquant les accents, martelant les contre-temps et vocalises mais lançant un peu les aigus. Christophe Rousset, empli d'inspiration, lance d'une grande expiration ses Talens Lyriques dans l'Ouverture de Tamerlano et en relance chaque phrasé en grande pompe y compris dans la fugue et vers l'air de la mezzo-soprano (récemment à l'affiche du Gala UNiSSON avec 64 autres collègues, en temps de couvre-feu) : "Cerco in vano" lui permet de déployer notamment ses graves à peine assourdis, dans un phrasé haletant. Le "Priva son d’ogni conforto" de Jules César instant trop sur son registre grave perdra toutefois la justesse et l'articulation, avant de les retrouver pourtant dans un frottement expressif rétabli.
La soprano Sandrine Piau (récemment à l'affiche de L'Instant Lyrique de l'Éléphant Paname confiné) s'accapare la fougue des instrumentistes et des partitions pour lancer des accents de tragédienne. "Ah ! Ruggiero crudel" est aussi intense dans le récit lyrique a cappella que sur les longs phrasés animés depuis le grave rauque jusqu'à l'aigu aiguisé. Ses longs phrasés la mènent jusqu'au bout du souffle. L'incarnation, l'incorporation vocale traduit la lutte entre ses sentiments amoureux et sa vive dénonciation de la cruauté, traitrise et déception, mais passent ensuite en grande délicatesse, lente et subtilement filée vers Ombre pallide avant de filer et tisser les pleurs lyriques du Piangerò comme un hommage à la situation actuelle. Une émotion trop grande pour retrouver juste ensuite (pour le même Jules César) ses appuis dans les grands sauts de registres et de nuances.
C'est aussi cela que d'Oser Haendel et les deux chanteuses osent, pour refermer ce concert, un duetto de toutes beautés "Più amabile beltà".