Le Messie du peuple chauve : création écologiste au poil à l'Opéra Grand Avignon
La planète se venge de la déforestation qui lui est infligée, en accélérant l'alopécie (perte des cheveux) dans le monde entier... La Terre nous tire donc littéralement les cheveux et "investit un Messie qui plaidera sa cause devant les grands de ce Monde. Le Peuple Chauve parviendra-t-il à sauver la planète ?" Tel est le thème de cet opus très créa-tif, d'après un roman d’Augustin Billetdoux qui a tout de suite enthousiasmé Éric Breton, au point d'en faire une œuvre lyrique qui sera créée à l'Opéra Grand Avignon les 20 et 22 novembre 2020.
Une fable lyrique philosophique
L'histoire apparemment légère d'un homme qui perd ses cheveux sert d'accroche, de porte d'entrée dans l'œuvre et de fil conducteur, mais elle permet aussi d'aborder des questions capitales pour notre société. La calvitie qui menace tout homme dans sa virilité individuelle, renvoie ici à la déforestation de la planète qui nous concerne tous de manière urgente.
Éric Breton signe la musique et une libre adaptation du roman d'Augustin Billetdoux, mais aucun risque que le compositeur et l'auteur se crêpent le chignon (comme cela est arrivé à plusieurs reprises dans l'histoire de l'opéra, l'exemple le plus célèbre étant sans doute le conflit entre Debussy et Maeterlinck au sujet de Pelléas et Mélisande et déjà d'ailleurs d'une fameuse chevelure). Le romancier fait ici entièrement confiance au librettiste-compositeur et souhaite même avoir la surprise de découvrir la musique le jour de sa création. "S'il ne se fait pas de cheveux, cela ne veut pas dire que je fais ce que cheveu", nous explique en substance Éric Breton prouvant une appétence aux bons mots qui promet d'assurer la dimension ludique et accessible de l'ouvrage (d'ailleurs lui et son héros sont les premiers à vouloir que les chauves sourient). Le travail pour la scène d'opéra a consisté à couper un peu le texte (mais plutôt rafraîchir les pointes qu'une coupe au bol) et à prolonger les thématiques déjà présentes comme on raviverait une teinture : en particulier la dimension messianique, son influence sur les peuples et les gouvernants.
L'œuvre propose une fable allégorique (philosophico-écologique), pour fasciner le spectateur en le laissant comprendre et deviner les références politiques et religieuses (l'assemblée des Nations Unies et la Cop-21, lieux de débats convenus entre politiciens chenus qui comme souvent ne mesurent l'étendue d'un problème que lorsqu'il les touche directement, ou encore les noms de personnages comme M.M. renvoyant à Marie-Madeleine : elle qui dans la Bible lave avec ses cheveux les pieds du messie Jésus).
Pour mettre en musique cet universalisme, ce messianisme international écologiste parti comme souvent d'un problème humain, trop humain, d'égo, pour voir s'il pourra aboutir à une révolution mondiale, le compositeur peut s'appuyer sur son riche travail musical, en particulier vocal polyglotte. Éric Breton a en effet signé plus d'une centaine de mélodies en français, italien, espagnol, anglais, latin, serbo-croate, provençal, portugais et allemand, sur des textes allant de Pétrarque à Christian Bobin, en passant par Victor Hugo, Pablo Neruda, Frédéric Mistral et bien d'autres. Et justement son travail repose sur la mélodie, qui fait la phrase (parole et musique), qui fait le sens.
Une œuvre contemporaine accessible
Le compositeur se fixe en effet un objectif devenu osé pour une œuvre contemporaine : la beauté ("même si elle peut être mal vue dans certaines sphères artistiques" reconnaît et se désole-t-il). Le Messie du peuple chauve veut au contraire plaire immédiatement à tous et être compris de chacun, sans demander de connaissances théoriques préalables ("l'art lyrique est à l'origine un art populaire, il aurait toujours dû le rester, il le reste sauf pour certaines créations élitistes impénétrables, face auxquelles le public crie bien entendu 'Chauve qui peut'").
Si le débat éternel de l'opéra est entre texte et musique avec le fameux Prima la musica, tout part donc de la mélodie pour le compositeur : "Prima la melodia ! C'est ce qui permet de suivre une histoire et une musique. C'est ce qui fonde mon rapport post-moderne à l'art : réunir les courants d'une manière pacifiée avec la tradition musicale, à l'image de cette œuvre pacifique, qui cherche la concorde entre les peuples et les gouvernants.
La cohérence des paramètres (rythme, notes) et surtout de la forme, permettent ainsi un discours intelligible."
La fosse lyrique stimulée
La musique reste mélodieuse dans cette œuvre, voulant rendre le texte d'une manière limpide et harmonieuse : à l'image de toute la partition. Le Prologue donne d'emblée la tonalité de la partition, expressive et claire, la musique traduisant ce que dit le texte et réciproquement dans un esprit clair et varié. Les premières notes graves rappellent la gravité de ces deux degrés celsius d'augmentation marqués d'un glas, puis partent dans un tempo plus guilleret vers la jeunesse insouciante en flash-back, avant de longues tenues évoquant la protection et l'innocence perdues. Toute la partition proposera ainsi une telle peinture musicale : les percussions marquant le compte à rebours du climat autant que le rythme effréné des voitures et klaxons, les cuivres faisant sonner la pompe protocolaire des dirigeants politiques aussi bien que du Messie.
maquette d'enregistrement de travail :
Le chef d'orchestre Samuel Jean qui dirigera la création se félicite de cette musique très tonale, avec beaucoup d'atmosphères variées, des influences jazz et de musique française (Fauré, Debussy, Poulenc notamment dans les harmonies), "une partition très bien écrite pour les voix. C'est une combinaison qui me plaît beaucoup : riche dans le rythme et l'harmonie, composant une musique très plaisante à écouter et à diriger (et comme l'œuvre est accessible pour le public, elle le sera aussi pour les musiciens)."
Le fait qu'il s'agisse d'une commande et d'une création mondiale propose un défi aux interprètes mais outre le besoin indispensable de continuer à créer et d'enrichir le répertoire, l'inédit a aussi du bon pour le travail de l'orchestre comme nous le confirme le chef : "La différence entre une création et une œuvre du répertoire, est que pour une œuvre contemporaine nous n'arrivons pas avec une idée pré-conçue et cela renforce le travail fondamental avec l'orchestre et avec le metteur en scène." Une phalange instrumentale que le chef connaît bien et qu'il vante dans ce répertoire : "L'Orchestre Régional Avignon-Provence a la fosse dans son ADN, il est associé à l'Opéra d'Avignon comme depuis toujours", rappelle Samuel Jean (espérant que c'est la raison pour laquelle il a été choisi pour diriger cette création quoiqu'il plaisante lui aussi volontiers en disant que le problème à l'origine de ce drame le concerne également, sans qu'il ne s'en fasse toutefois des cheveux blancs). "Je connais très bien cet orchestre, poursuit-il, et il est vraiment rôdé au lyrique et à l'écoute des chanteurs. Bien entendu nous entrons en terrain inconnu puisqu'il s'agit d'une création mais cette partition est bien orchestrée, pour chacun des musiciens (d'autant qu'ils connaissent Eric Breton, qui est une figure d'Avignon). Cela permettra justement d'éviter l'écueil consistant à rester ancré sur des traditions d'interprétations. Hormis de rares exceptions, je répète dans l'ordre de la partition, cela permet de travailler la continuité dramaturgique de l'œuvre : comme cette partition est variée dans la continuité, elle invite à toutes les formes de travail, dans la qualité et dans la richesse (qui mettra notamment en avant l'aspect rythmique et la dimension sensuelle des cordes)."
Le Messie du peuple chauve sera aussi l'occasion de commencer les adieux à l'Opéra Confluence, lui offrant une création avant que l'Institution ne retrouve son bâtiment historique au centre-ville : "Nous jouons dans l'Opéra Confluence que je connais très bien avec le système de fosse traditionnel. Pour cette création et pour respecter les mesures sanitaires, l'orchestre sera plus haut et plus espacé, nous allons donc travailler en détail ces équilibres, avec l'orchestre, avec le chef de chant. Comme l'œuvre est bien écrite, la musique parle d'elle-même et le traitement sonore va aussi beaucoup s'inspirer de l'univers créé par le compositeur et représenté mis en scène (nous avons le privilège d'un long temps de répétitions pour cette production)."
Poésie et lumières durables
Justement, le metteur en scène Charles Chemin nous confirme comment son travail s'inscrit dans cet esprit : il met l'accent sur la narration grâce à la scénographie et au jeu acteur-chœur et puis ce compagnon de route de Bob Wilson met bien entendu la lumière sur la lumière. "L'œuvre est morcelée mais rien ne tombe comme un cheveu sur la soupe, détaille-t-il. L'Opéra est en un acte mais en 20 scènes (avec des coupures et des continuités, des lissés et des dégradés). Pour représenter l'arc narratif dans ces 20 scènes très diverses, le premier principe qui m'intéresse est de ne pas chercher à "corriger" l'opéra, l'accepter dans ses (in)cohérences, ses sauts temporels et stylistiques : travailler un arc qui reste indispensable pour le spectateur tout au long."
Là encore, le travail se bâtit sur et grâce à la cohérence tout en clarté entre le texte et la musique : "La musique colle au livret, ma mise en scène colle donc à l'essence des scènes (tout en m'octroyant évidemment certaines libertés artistiques avec les didascalies, des précisions sur les propositions poétiquement contradictoires) mais sans rien transformer. Cette œuvre se déroule chez nous aujourd'hui mais aussi dans un ailleurs poétique (dimension déjà importante dans le texte de Billetdoux). Ce point de passage entre réel et fiction est capital dans cet opus et dans mon travail. La scénographie sera donc construite par des notions d'infini : loin de gros décors en dur, l'espace est un contenant de perspectives (avec un mur du fond presque libre et très lumineux vers lequel les interprètes pourraient s'échapper, et un sol réfléchissant). Les situations seront représentées, avec une poésie qui est une constante du texte, du livret et de la musique. Même lorsqu'on parle des grands enjeux écologiques, c'est avec poésie. Les scènes (chez le médecin, sur les forums internet, à l'assemblée des Nations-Unies) seront travaillées en tant que telles et pour ce qu'elles disent tout en les symbolisant."
La mise en scène renforce ainsi les dimensions contemporaines et accessibles de toute l'œuvre : "L'œuvre et la mise en scène disent beaucoup de ce que nous sommes en société, le vivre-ensemble, notre connexion dans toutes ses distances et proximités par internet ou entre disciples : tout cela s'appuie sur le dialogue entre des individualités très fortes des personnages (notamment le messie) et le rapport avec les chœurs. Le ballet apporte aussi quatre présences supplémentaires, celle de quatre danseurs (trois femmes et un homme) qui permet aussi de représenter infirmières, femmes de ménage à l'ONU (premières de corvées dont on ne parle jamais), speakerines et le chœur devient alors la voix invisible de la boîte animée."
L'ensemble s'appuie sur le travail scénographique très important en lien avec celui des lumières. La scénographie est l'œuvre d'Adrian Damian avec qui Charles Chemin travaille étroitement et régulièrement. Le plateau dessine ainsi de grands éléments, sociétaux et naturels : la tribune des Nations-Unies ou encore une montagne qui est aussi une mer : "Nous l'appelons la montagne-mer, dans cet esprit d'unir les éléments de manière poétique, afin de laisser un espace du possible et du rêve : elle symbolise les intempéries, la terre dévastée mais aussi la manière dont un obstacle matériel peut bloquer l'infini."
La lumière tient une place capitale pour cette mise en scène et le travail de Charles Chemin (qui travaille régulièrement avec Bob Wilson). Le Messie du peuple chauve sera illuminé par une sphère formée de néons fluorescents en LED contrôlés en temps réel, pixel par pixel. "Ils pourront donc composer tout un univers de formes et de variations. Ce n'est pas tant pour la prouesse technologique (certes avérée) que pour rendre la vibration de la Terre et des astres, qui vibrent avec le cœur et le chœur (et toute la musique) : le rapport de l'humain à son environnement. Elle vibrera au rythme des humains et des sons par un logiciel assez complexe."
La technologie et l'art ont vocation à sauver la planète.
L'Opéra Grand Avignon a réorganisé son calendrier de représentations pour Le Messie du peuple chauve afin de respecter le couvre-feu :
Réservez vite vos places (à partir de 10€) samedi 21 novembre à 17h et dimanche 22 novembre à 14h30 !