L’Académie de l’Opéra national de Paris renoue avec son public à l’Amphithéâtre Bastille
Au terme d’un long silence, l’Académie a repris ses activités d’enseignement et de perfectionnement. Ce premier concert, consacré à Mozart, célèbre la réouverture de toute la maison lyrique capitale et confirme certains talents déjà soulignés par Ôlyrix, tout en permettant la découverte des nouveaux jeunes artistes arrivés cette année : Alexander Ivanov, baryton russe, Niall Anderson, baryton-basse anglais et Aaron Pendleton, basse américaine.
Cosi fan tutte ouvre le ban avec l’air de Dorabella Ah, scostati!... Smanie implacabili que la mezzo-soprano Marie-Andrée Bouchard-Lesieur aborde avec aplomb et certitude, dans une sorte d’éclat fiévreux permanent qui occulte une partie du personnage. Dans le duo avec Guglielmo interprété par le solide Timothée Varon, Il core vi dono, elle modère son expression, proposant un versant plus vulnérable et sensible au personnage. Le trio des trois hommes, Non siate ritrosi, extrait du premier acte de l’ouvrage, outre Timothée Varon et Tobias Westman, ténor d’origine suédoise très attentif à la ligne, introduit dans le rôle Don Alfonso, Aaron Pendleton, voix de basse conséquente et virile de timbre. Dans le duo Fiordiligi/Ferrando de l’acte II, Fra gli amplessi, Tobias Westman marque avec un legato de qualité, un aigu aisé, même si le timbre demeure peu varié sur l’ensemble de la tessiture. Marianne Croux révèle aussi des moyens épanouis, une ligne expressive avec cependant un aigu souvent assez dur. Globalement, au cours de cette première partie du concert mais aussi sur l’ensemble du programme, il convient de noter un manque de nuances, voire pour certains de sensibilité spécifiquement mozartienne. Il est vrai qu’il incombe à l’Académie et à ses animateurs de leur en transmettre les clés.
Le contre-ténor issu du Sistema vénézuélien, Fernando Escalona, arrivé juste avant le confinement, se mesure à Ascanio In Alba, avec l'aria Ah di si nobil alma, de façon peut-être encore prématurée. Le timbre est certes lumineux, l’intention exacte, mais la voix doit encore s’homogénéiser, se parer de son propre caractère. Les deux extraits de La Flûte enchantée donnent davantage satisfaction, dont l’interprétation par Alexander Ivanov du premier air de Papageno, Der Vogelfänger bin ich ja, qui démontre un matériau de qualité, un sens certain de la scène et du comique. Le magnifique quatuor de l’acte II avec les Deux hommes armés, Kiup Lee et Aaron Pendleton, efficaces et musicalement très en place, permet de retrouver Tobias Westman, Tamino d’élégance, et Andrea Cueva Molnar en ardente Pamina. Dans le périlleux air de Sesto de La Clémence de Titus, Parto, parto, la mezzo-soprano Ramya Roy apparaît un peu appliquée, tendue, anticipant à plusieurs reprises ses départs même si les moyens s’avèrent conséquents. Edward Liddall et Olga Dubynska se partagent l'accompagnement avec application et assiduité, avec un toucher différent, plus affirmé pour le premier, plus lyrique pour la seconde.
De larges extraits du Don Giovanni marquent la seconde partie de la soirée, avec la présence bienvenue de 10 musiciens eux-mêmes attachés à l’Académie : violons, altos, violoncelles, contrebasse et piano. Avec le très assuré Christopher Vazan pianiste/chef de chant placé à leur tête, ils insufflent la dimension plus foncièrement dramatique qui sied à l’ouvrage. Après le duo Anna/Don Ottavio du premier acte, Fuggi, crudele! chanté avec soin et passion par Kiup Lee, décidément une fort belle voix de ténor très en place, et Kseniia Proshina, un peu plus abrupte dans son chant, le fameux Trio des Masques, en manière de clin d’œil au public présent, associant l’Elvira de Marianne Croux, clôture le premier acte.
Toute la scène de la mort de Don Giovanni met pleinement en valeur le baryton, Alexander York. Physique de séducteur, sourire carnassier, il maîtrise sans conteste la partie vocale du personnage. À ses côtés, Niall Anderson campe un réjouissant Leporello, d’une voix de baryton-basse bien calée, expressive et tonique. Aaron Pendleton, en dehors de quelques soucis d’intonation, donne beaucoup de relief au spectre du Commandeur. La voix est large, profonde et bien timbrée sur l’ensemble de la tessiture. Le final de l’acte II permet à tous ces jeunes artistes d’exprimer leur joie de chanter et de retrouver le public.
Pascal Neyron, remarqué lors de la mise en scène du Testament de Tante Caroline au Théâtre de l’Athénée en 2019 et ayant depuis rejoint l’Académie, parvient astucieusement et dans le respect des normes sanitaires, à établir une mise en espace perspicace de la soirée. Les entrées des chanteurs, masqués avant de se produire, respectent attentivement l’action et ses rebondissements. L’apparition depuis le fond de l’amphithéâtre du Commandeur traduit ainsi l’angoisse de Leporello et la suffisance de Don Giovanni. Métaphorique de notre temps, une fois encore.