L’Académie de l’Opéra de Paris vous fait découvrir ses artistes de demain dans l'Orfeo de Monteverdi
Le calendrier opératique est parfois farceur. L’Orfeo de Monteverdi, œuvre mythique car considérée comme le premier opéra dont la partition nous est parvenue, est rarement jouée. Deux versions sont pourtant proposées, à quelques jours d’intervalle. La première se dévoilait hier (11 mai) à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, tandis que la seconde sera présentée le 20 mai à Lille, mise en scène par Sasha Waltz. A Paris, c’est l’Académie de l’Opéra qui est à l’œuvre, dans une mise en scène de la jeune Julie Berès. Cette production, comme nombre d’œuvres de jeunesse, recèle de créativité, de talent mais aussi de légers défauts qui laissent apparaître un grand potentiel. La mise en scène embrasse l’espace de l’Amphithéâtre, obligeant le chef Geoffroy Jourdain à se contorsionner pour suivre l’action sur scène, sur les côtés, parmi les spectateurs, ou au fond de la salle, tout en conduisant l’Orchestre des Cris de Paris. Cela ne se fait pas sans quelques désynchronisations, mais l’ensemble reste extrêmement cohérent. L'orchestre livre ainsi une interprétation tantôt enflammée, donnant un véritable élan à l’action, et tantôt d’une grande délicatesse, comme dans le dialogue entre l’orchestre et Orphée, avant que celui-ci ne parvienne à pénétrer les enfers, ou dans le solo de harpe qui s’ensuit.
Pauline Tixier interprète La Musique dans Orfeo (© Studio J'adore ce que vous faites !)
Sombre, y compris dans le premier acte relatant le mariage d’Orphée et Eurydice, la scénographie délivre quelques tableaux d’une grande esthétique : l’apparition de la Musique dans sa gigantesque robe céleste, la veillée funèbre aux chandelles ou encore les corps de femmes amassées sur une table, mortes aux yeux du héros. Certes, quelques idées déconcertent, comme le costume du passeur des enfers, Charon, affublé de ballons noirs, ou bien la chorégraphie épileptique des esprits infernaux dans leur fausse nudité. Mais l’on retrouve les espaces bucoliques des premiers actes, tant dans l’herbe du plateau que dans les robes printanières des chanteuses. L’enfer est représenté par une sorte de passerelle en taule de couleur rouille, dans laquelle Eurydice s’enfonce comme dans du sable mouvant lorsqu’elle se voit condamnée pour l’éternité par l’impatient coup d’œil de son mari.
Le baryton Tomasz Kumiega incarne Orphée avec brio. Son phrasé, très adapté au répertoire, le conduit vers des aigus sûrs par lesquels il déclame la poésie du livret avec conviction. Manquant peut-être de gaieté au début de l’œuvre lorsque son personnage s’enivre de bonheur, il se montre en revanche déchirant par la suite, jouant à merveille la révolte et le désespoir, jusqu’au final au cours duquel il se plonge dans l’obscurité en estropiant ses yeux de sa lame de couteau. Très applaudi, il laisse entrevoir certains accents mozartiens, qui donnent envie de le retrouver dans d’autres répertoires.
Tomasz Kumiega interprète Orphée dans l'Orfeo (© Studio J'adore ce que vous faites !)
Emanuela Pascu, interprète de la Messagère, ressort également par la chaleur de son timbre, sa puissance et son implication dramatique. La Musique de Pauline Texier est techniquement irréprochable et d’une grande légèreté vocale, mais manque toutefois de corps dans l’interprétation. De même, Laure Poissonnier, qui incarne à la fois Eurydice et l’Espérance, se laisse parfois couvrir par l’orchestre, mais compense cette faiblesse par un jeu dramatique de qualité. Gemma Ní Bhriain et Mikhail Timoshenko forment un couple Proserpine / Pluton très convaincant. Vocalement, la première charme par son timbre ensoleillé, tandis que le second se bonifie dans les médiums, dans lesquels sa puissance s’exprime avec un grain d’une grande richesse. Andriy Gnatiuk s’acquitte avec application des difficultés du rôle de Charon tandis que Damien Pass interprète un Apollon puissant, plus à l’aise encore dans les graves de sa tessiture que dans les médiums. Son duo final avec Tomasz Kumiega est magnifique et conclut de belle manière un spectacle riche en découvertes.