Maria Republica à l’Angers Nantes Opéra : Dieu que le pêché est bon !
Sophia Burgos (Maria Republica), Noa Frenkel (Révérende Mère), Els Janssens Vanmunster (Dona Eloisa) © Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra
Inspiré dès ses années estudiantines par la puissante décharge qu’il reçoit à la lecture du roman Maria Republica d’Agustín Gómez-Arcos, François Paris se met en tête d’en faire un opéra. Vingt-cinq ans après ses premiers travaux avec l’auteur, avortés par la disparition de ce dernier en 1998, le projet voit le jour dans l’intimité des murs du Théâtre Graslin. Et pour son premier opéra, on peut dire que le compositeur frappe fort. Reconstituant le cycle qu'il avait créé autour de Maria Republica avec Confessions silencieuses (1996) et Rosa (2012), François Paris réalise un coup de maître. Confié aux mains d’une équipe artistique qui met la barre très haute et ne laisse rien au hasard, Maria Republica secoue et dérange. Enfin une œuvre qui ne laisse pas indemne et prend l’étoffe d’un chef-d’oeuvre.
L’histoire de Maria Republica, c’est celle d’une fille de rouges exécutés par le régime franquiste pour avoir brûlé une église. Orpheline devenue putain, Maria fait de son corps habité par la syphilis un acte de résistance et couche avec l’ennemi pour mieux le tuer à petit feu. Se retrouvant à la rue à l’âge du Christ le jour où les maisons closes sont priées de fermer, elle aussi meurt et ressuscite. Peut commencer alors le récit d’une femme viscéralement libre, qui va feindre la repentance pour mieux assouvir sa vengeance, en renversant l’ordre établi d’un couvent dans lequel sa tante la conduira. Crue et pratiquant l’humour noir, l’écriture du livret de Jean-Claude Fall sait être aussi fraîche qu’impertinente. Avec un découpage en dix tableaux, le librettiste dépouille le roman pour retrouver son architecture théâtrale. Dès la première phrase, le ton est lâché, l'issue paraît inéluctable, « On va tous brûler vifs sous ce soleil ». Ça fonctionne.
Sophia Burgos (Maria Republica) © Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra
Car écriture et musique s’imbriquent à merveille. Sachant faire place au texte tout en maintenant sa tension dramatique, la complexe composition de François Paris s’articule autour des sons émis par un pianotech, colonne vertébrale de l’œuvre livrant la moelle de chaque tempête instrumentale. Grande originalité du travail préparatoire de l'oeuvre : l'utilisation inédite du logiciel Antescofo développé à l'IRCAM qui permet une simulation d'orchestre tout en réagissant en temps réel au jeu des musiciens. La partition vocale, riche et au service de la langue par la prosodie, atteint notamment un sommet de virtuosité dans le magistral trio des Sœurs du tableau 5. A la tête des quinze musiciens de l’Ensemble Orchestral Contemporain, Daniel Kawka, grand complice de François Paris, dirige la partition avec assurance et un plaisir non feint.
Que dire de la mise en scène de Gilles Rico sinon qu’elle fait partie des plus belles réalisations de cette saison ? Le metteur en scène rejoint le banc des jeunes premiers puisqu'il réalise là sa première réalisation pour l'opéra. Et l'on ne peut que sans réjouir. Minutieuse, intelligente, esthétique et propriétaire de l’espace, celle-ci offre de purs tableaux dans lesquels Bertrand Couderc, à l'éclairage, pratique un savant clair-obscur. En privant l'œuvre du contexte historique de l'Espagne franquiste, Gilles Rico lui offre une intemporalité tout en conservant ses problématiques essentielles. Tout y est : oppression et résistance, obéissance et liberté, système totalitariste et religion toute puissante, corps et silence. Dédale sculpté, crâne à cornes hypertéliques, encensoirs et cierges achèvent de donner à l’ensemble une ambiance mystique malsaine bienvenue. Les costumes de Violaine Thel sont taillés sur mesure et se fondent dans l'ensemble. Rien à dire.
Sophia Burgos (Maria Republica), Noa Frenkel (la Révérende Mère) © Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra
Côté distribution, Sophia Burgos est une jolie révélation. Si la belle met un léger temps à rentrer dans la vulgarité sensuelle du personnage, elle sait en rendre visible les fêlures. C'est dans un français impeccable sans accent qu'elle libère sa voix de soprano lyrique. La diction est attentiste. On notera que le rôle était d'abord écrit pour une soprano wagnérienne. Face à elle, Noa Frenkel, son double autoritaire, déploie une Mère Révérende très dense. La contralto à la voix puissante et aux graves soutenus nous tend aussi bien le visage de la femme meurtrie, que celui de la dictatrice folle ou de la mère-amie. Le reste de la distribution servie par l'Ensemble Solistes XXI est admirable.
Cohérence et évidence sont deux notions palpables dans cette création, pour laquelle on pressent que le travail d'équipe semble avoir été étroit. Courrez-y sans réfléchir.
Maria Republica, mise en scène de Gilles Rico, direction musicale de Daniel Kawka, du 19 au 26 avril à l'Angers Nantes Opéra.