Requiem pour Alcina à Nancy
L’Opéra national de Lorraine propose un « parcours opéra » aux élèves de première et de terminale, afin de les familiariser à un domaine souvent méconnu, pour transmettre la passion lyrique. Si Alcina de Haendel a été victime du Coronavirus (alors qu’elle est pourtant bien confinée sur son île), la présentation pédagogique, la générale et la première ont toutefois pu avoir lieu début mars, juste à temps.
Après la création lyrico-syndicale 7 Minuti la saison passée, l’Opéra Nancéien proposait un nouveau parcours didactique avec la redécouverte d’un chef-d’oeuvre baroque magique, l’Alcina de Haendel. Son nouveau chemin pédagogique, à travers les voies du théâtre et les voix de l’opéra ne s’arrête pas à l’œuvre, travaillée en amont en classe, mais prend en compte, en plusieurs étapes, toutes les caractéristiques du monde lyrique, de l’importance du livret à son contexte d’écriture, de la multiplicité des tessitures au travail des chanteurs, de la variété des mises en scène au rôle de chaque instrument.
Avant de découvrir Alcina au cours de sa pré-générale, les élèves découvrent et parcourent d’abord l’écrin de la représentation : la maison d’opéra. Ils explorent d’abord l’historique du bâtiment. Reconstruit après l’incendie de 1906, l’Opéra national de Lorraine a fêté son centenaire l’année dernière, et présente la particularité de s’inscrire dans le plan architectural de la somptueuse place Stanislas, tout en renfermant la modernité du début du vingtième siècle, dorures classiques et stuc qui recouvrent… du béton armé, plus ses petites touches d’Art Nouveau, Nancy oblige, dans le bar oriental, désormais fermé au public mais où sont entreposés des costumes des productions passées.
La visite guidée permet aux élèves de prendre conscience de la hiérarchie sociale de l’époque, matérialisée physiquement dans la salle de théâtre comme partout. Au poulailler, ils remarquent l’absence de décor dans les couloirs le précédant, la perspective qui s’offre depuis le grand escalier donnant sur le somptueux foyer, l’importance d’être vu et de se faire voir pour le public aisé, l’emploi du rouge dominant dans la Grande Salle qui les fascine, les infinis détails des carrelages, moulures, lustres.
Passé l’histoire et l’historique, ils déambulent dans les coulisses, découvrent le travail des techniciens et assistent ensuite à une répétition piano. S’en suit un entretien au cours duquel les lycéens font part de leurs premières impressions, de leur point de vue quant à la mise en scène, ici résolument moderne, de Serena Sinigaglia, de leur aptitude à identifier les différences de tessitures, et de leur finesse d’oreille, ayant repéré les voix les plus marquantes.
Leurs premières impressions, celles d’un art total, qui mêle théâtre et chant, sont confirmées au cours de la pré-générale qui leur est offerte deux jours plus tard. Installés au premier balcon, ils suivent du regard la battue de Leonardo García Alarcón. S’ils ne le connaissent pas de nom ni de réputation, ils n’en admirent pas moins son travail : la battue du chef donne la mesure aux musiciens et aux jeunes spectateurs qui prennent toute la mesure de cet instant privilégié.
Le regard adopté par Serena Sinigaglia fait le choix d’une mise en scène en cohérence avec les problèmes du monde contemporain. Alcina, sur son île protégée à l’ambiance soixante-huitarde avec tenues hippies de rigueur, dirige des expérimentations botaniques, dans une immense serre représentée sur scène par une multitude de végétaux. Lorsque l’île et la sorcière sont vouées à la destruction, des monceaux de terre s’abattent des cintres (rappelant la légendaire scène de Patrice Chéreau avec des livres et papiers).
Bradamante et son entourage, ultra-capitalistes qui fêtent au champagne la multiplication de leurs plateformes pétrolières, ressemblent à des Finzi-Contini dénués de toute morale. Le pari audacieux de Serena Sinigaglia plaît au jeune public, qui échange les points de vue à l’entracte, et comprend qu’une œuvre, aussi ancienne soit-elle, peut toujours faire sens aujourd’hui et qu’elle peut être déclinée de mille façons au gré des mises en scène. Certains regrettent tout de même que cette dernière ne s’inscrive pas dans une scénographie de facture classique, mais tous s’accordent sur la richesse du plateau musical. Exposés à l’art lyrique, ils ressemblent à tous les publics en somme et bien entendu.
La soprano Kristina Mkhitaryan les subjugue en Alcina, dans la richesse et la tenue de ses aigus, dans son travail sur le souffle, dispersant des pianissimi filés à l’envi. L’ensemble du plateau vocal emporte d’ailleurs l’adhésion, avec une mention spéciale pour la soprano québécoise Elisabeth Boudreault en Oberto. Déguisée en enfant, sac à dos sur les épaules à la recherche de son père captif, ses brèves interventions fascinent le jeune public, qui admire la puissance de la portée d’une chanteuse à la constitution de sylphide.
Enthousiasmé par la représentation, le jeune public offre les premiers bravi à l’ensemble du plateau. Il leur a bien été rappelé qu’une chanteuse s’ovationne par des « brava », un chanteur par des « bravo » : ils adoptent rapidement les conventions.
Le parcours opéra mené par les enseignants et l’Opéra national de Lorraine a donné à ces jeunes oreilles l’envie d’en découvrir plus : ils auront même permis de parler de représentations qui n’ont pas pu avoir lieu.
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