Admeto en version salon à la Criée de Marseille
Le festival Mars en Baroque, manifestation annuelle marseillaise, propose en association avec le Théâtre National de la Criée une version concertante du très rare Admeto, re di Tessaglia de Haendel, composé pour la Royal Academy de Londres. Le livret de l’opéra s’avère assez daté, reprenant la même intrigue inspirée d’Euripide qui se retrouve par exemple dans l’Alceste de Gluck, mais en la complétant par des intrigues secondaires amoureuses. Des péripéties que la version concertante peine à rendre totalement intelligibles pour le spectateur, malgré la projection des notes du livret au fond de la scène en complément des surtitres habituels.
Le Concerto Soave vient rappeler que si la Criée n’est pas un opéra, son acoustique s’adapte merveilleusement aux formations chambristes : cette « musique de salon » constitue le fil rouge de l’édition 2020 du festival Mars en Baroque. L’ensemble de quinze musiciens exécute la partition de Haendel sur instruments d’époque et au diapason baroque, avec une cohabitation surprenante du violoncelle et de la viole de gambe. La texture parvient à conserver l’intimité d’un salon tout en décortiquant avec précision et musicalité chaque intention mélodique de Haendel. Le Directeur du festival, Jean-Marc Aymes, dirige la formation depuis son clavecin et lui insuffle sa vigueur. Il y est hélas invisible des chanteurs et d’une partie des instrumentistes, ce qui occasionne quelques décalages et même le démarrage simultané de deux solistes pendant un récitatif.
L’opéra est déroulé de bout en bout dans l’alternance classique récitatif/airs en effectuant un da capo (une répétition du thème principal) à chaque air dans la plus pure tradition baroque. Toutefois, ces da capo, traditionnellement occasions pour l’interprète d’ajouter ornements et improvisations, ne sont trop souvent qu’une redite littérale du thème de l’air : cela tend à créer une certaine lassitude au sein du public, l’opéra entier durant 3h15. Dommage car la délicatesse de cette remarquable partition, qui contient plusieurs morceaux de bravoure, est admirablement restituée.
Le spectacle étant coproduit avec le Centre d’Art Vocal et de Musique Ancienne de Namur, le plateau vocal consacre plusieurs chanteurs belges : à commencer par le baryton-basse Philippe Favette, très aguerri à ce type de répertoire et dont la voix chaude, profonde, bien placée et très expressive, sait épouser la facétie généreuse du serviteur Meraspe. Julie Vercauteren tient le rôle d’Alceste : si celle-ci peine à transmettre la dimension tragique des airs du premier acte, elle se distingue davantage en femme jalouse vengeresse après l’entracte. Les legati sont longs et soyeux, la diction excellente et les quelques imprécisions sont vite oubliées. Le baryton Samuel Namotte prête quant à lui sa voix assurée à Ercole. Il déploie une belle longueur de souffle et un médium généreux. La projection reste cependant mesurée pour un tel personnage de héros testostéroné, en particulier lors de son air d’ouverture triomphant.
Originaire de la région, le très jeune contre-ténor Rémy Bres (22 ans) impressionne déjà l'auditoire dans le rôle de Trasimede : timbre chaud dans le médium, légèreté aérienne dans l’aigu, son expressivité dans les airs rend crédible la mélancolie de ses amours déçues. Son rival Orindo est interprété par (le très jeune également) Logan Lopez Gonzalez dont les excès de théâtralité décontenancent quelque peu pour une version concertante. Si la fraîcheur de son timbre sied au rôle, l’interprétation de chaque récitatif avec la fantaisie d’un « contre-ténor bouffe » nuit à la justesse et les attaques, assez brutales, dénotent avec le reste du casting vocal.
Dans le rôle-titre travesti, Caroline de Mahieu fait montre d’une précision exemplaire, notamment au niveau du vibrato, mais elle peine à imprimer des aspérités à ses nombreuses arias da capo qui pourtant s’y prêtent (imminence de la mort, décès de sa femme, triangle amoureux…). Les graves sont quelque peu effacés et la projection reste sagement retenue, ce qui peut se comprendre lorsqu’Admète est mourant mais moins lorsqu’il jubile d’être sauvé.
Enfin, dans le rôle plus central qu’il n’y paraît d’Antigona, Morgane Heyse impose une projection enthousiasmante alliée à une agilité de colorature : les staccati sont bien marqués, le contre-ré est atteint non sans difficulté mais avec musicalité. La voix limpide, chaude et généreuse joue des nuances, couvrant toute la palette des émotions, de l’ambition déguisée au désespoir sincère. Son timbre lumineux domine le duo du dernier acte avec Admète et le tutti final. Lors des applaudissements le public semble en redemander.