La Clémence de Titus, vivante et de belle facture à Rennes
Les indices de la pompe romaine, sous maintes variantes possibles, font partie des attendus scénographiques de toute Clémence de Titus. Assurant l'ensemble de la conception visuelle et théâtrale du spectacle, rehaussée par les lumières efficaces de Gilles Gentner, Pierre-Emmanuel Rousseau n'y déroge pas. Dans un décor de marbre noir trône une maquette d'un nouveau Capitole au dessin proche de l'esthétique Sécession. Si la note d'intention témoigne d'une inspiration puisée dans Les Damnés de Visconti, jusque dans la psychologie de Vitellia, l'ensemble affirme une sobriété classique que lécheront les flammes avant d'être recouvert de cendres tombant des cintres, comme cela a été déjà vu ailleurs.
Avec un palais impérial figé dans ses restes crématoires, le second acte scande intelligemment le propos dramatique. Le rideau s'ouvre sur quatre grabats mortuaires sur lesquels gisent des cadavres enveloppés dans un noir suaire d'urgence en néoprène. Uniformes et tenues de soirée évoqueront sans doute l'atmosphère délétère des régimes nazis ou fascistes. L'essentiel réside surtout dans cette morbidité croissante des sentiments et de la souveraineté, graduée, qui n'aura d'autre issue que le sacrifice d'un souverain devenu faible à cause de sa bonté, et que Publio, garant de l'autorité répressive du pouvoir assassinera d'un coup de pistolet –seule entorse à la lettre et à son lieto finale (fin heureuse).
Investissant la direction d'acteurs lisible et signifiante voulue par le metteur en scène français, la distribution vocale décline une galerie de portraits où la musique se conjugue à l'expression. En Titus, Jeremy Ovenden se distingue par un primat de l'autorité sur la bienveillance amicale, quitte à céder à une relative raideur. Le ténor britannique fait parfois entendre des harmoniques un peu vulnérables, mais il démontre une vaillance équilibrée et une pondération maîtrisée des vocalises accomplies. Avatar de l'hystérie morbide de la peroxydée et sophistiquée Baronne von Essenbeck des Damnés, Roberta Mameli impose une Vitellia tourmentée et calculatrice, où la moindre inflexion du chant est habitée par une intention, fût-elle une minauderie. Même si certains aigus semblent un peu aux limites de la tessiture de la soprano italienne, sa pratique du baroque a nourri, à l'évidence, l'agilité expressive des couleurs et de l'émission.
Habillé à la manière d'un cavalier, bottes incluses, le Sesto de José Maria Lo Monaco séduit par une homogénéité qui ne cède pas au monochrome, et une rondeur qui n'alourdit jamais la ligne. Le fini de ses deux grands airs n'interdit pas la sincérité du sentiment. En Annio vêtu de manière presque gémellaire, Abigaïl Levis révèle une semblable consistance, et ne réduit pas le rôle à une incarnation secondaire. Olivia Doray fait palpiter le babil fruité d'une Servilia frémissante d'émotion, sans affectation. Quant à Christophoros Stamboglis, l'autorité de son Publio s'appuie sur la saine intégrité d'un instrument qui s'affranchit des usages confiant parfois ce militaire à des timbres émérites.
Préparé par Gildas Pungier, le chœur de chambre Mélisme(s), associé à l'Opéra de Rennes, assume son office dans les finales, avec une présence et une clarté calibrées. Placé sous la houlette de Nicolas Krüger, l'Orchestre Symphonique de Bretagne –dont les auditeurs ont pu mesurer les progrès ces dernières années depuis l'arrivée de Grant Llewellyn, pour désormais retrouver sa noble place dans le paysage musical français– fait respirer les ressources lyriques de la partition, avec des textures et une dynamique vivantes et aérées. Un Mozart chatoyant qui reçoit les légitimes suffrages du public rennais –et que pourront prochainement applaudir les spectateurs nantais et angevins.