Fidelio venu de Suède au Théâtre des Champs-Élysées
Cette version concert de Fidelio, qui s’inscrit dans le cadre plus large d’une tournée européenne de l’Orchestre de chambre de Suède et de son chef Thomas Dausgaard, se trouve agrémentée d’une mise en espace signée Sam Brown et Bengt Gomér (scénographie et lumières). Délimitant les forces musicales, une dizaine de hautes lampes lumineuses encadrent l’espace ainsi que le cachot de Florestan, ce dernier se trouvant de fait exposé sur scène durant tout l’ouvrage. À Jaquino exclusivement, est confié un texte parlé nouveau aux accents modernistes et portant glorification de l’image de la femme au sein de la société. Par ses interventions, Jaquino explicite pour le public l’action et ses rebondissements.
Le ténor Daniel Johannsen s’acquitte d’ailleurs pleinement de sa tâche et fait preuve d’une tonique présence scénique. La voix agréable en soi, vive, parait tout de même assez légère pour le rôle de Jaquino. Si certains moments de cette mise en espace se discutent notamment par l’exposition d’une certaine veine comique assez déplacée dans ce contexte dramatique, d’autres en revanche apparaissent plus appropriés comme l’entrée des Prisonniers par la salle de spectacle. Le moment est fort, d’autant que les Chœurs de la Radio Suédoise impressionnent de qualité et d’homogénéité. La partie délicate de la distribution vocale appartient à la soprano Malin Christensson en Marzelline, trop peu audible, jusqu'à déséquilibrer les ensembles, au timbre acide et souvent fort fâchée avec la justesse.
La basse Johan Schinkler manque un peu de relief et de diversité d’approche en Rocco, mais vocalement il domine aisément la tessiture, avec des graves profonds et la largeur vocale appropriée. John Lundgren met ses imposants moyens de baryton dramatique au service de l'antipathique Don Pizarro. Il en possède toute la noirceur, la singularité et sa présence seule impressionne. Ce rôle, trop souvent confié à des chanteurs surtout soucieux de l’effet et peu attentifs à la ligne musicale, reprend tous ses droits avec John Lundgren.
Le baryton Karl-Magnus Fredriksson semble presque surdimensionné pour le rôle trop bref de Don Fernando. La voix s’élève avec facilité et il confère au personnage une humanité bienveillante. Le ténor Michael Weinius (rôle-titre), entendu l’an dernier en Siegfried pour le Ring de réouverture du Grand Théâtre de Genève, possède un timbre assez lumineux, une voix large et solide. Mais l’écriture même du rôle le soumet à des tensions perceptibles et le souffle s’en ressent. Certains aigus sont bas, pas assez soutenus. Il manque par ailleurs au personnage cette désespérance, cette blessure, qui accompagnent son cri d’entrée Gott qui doit comme surgir des ténèbres les plus profondes. Pour autant, il donne une réplique de qualité à sa partenaire Nina Stemme.
Cette dernière semblait en ce soir de concert, quelque peu fatiguée. Il est vrai qu’elle a fréquenté le rôle de Leonore avec parcimonie, au-delà de l’enregistrement de Fidelio effectué auprès de Jonas kaufmann sous la direction de Claudio Abbado il y a déjà 10 ans. Le matériau vocal reste solide, affirmé et la projection demeure toujours aussi imposante. Mais le timbre a perdu de sa brillance. La cantatrice déploie toujours des couleurs superbes, un grave assuré, une aisance encore souveraine. Seul l’aigu, tout particulièrement dans son grand air Abscheulicher (Abominable), apparaît rétif, voire même forcé. Elle doit établir non une respiration mais une césure pour l’émettre avec la meilleure sécurité possible. La seconde partie du concert la trouve bien plus à son avantage, plus libre de son chant, et lui permet de conquérir sans conteste les faveurs du public. Nina Stemme appartient à la classe trop rare des chanteurs d’exception : sa venue à Paris constitue toujours -et visiblement- pour le mélomane un moment de grâce.
Thomas Dausgaard, à la tête de l’Orchestre de Chambre Suédois, adopte un tempo toujours vif et dynamique, assez rare et très personnel concernant cet ouvrage. Malheureusement, certains pupitres déraillent en chemin notamment du côté des cuivres, mais l’ensemble se tient tout de même, sans toutefois posséder cette suffisante densité musicale et dramatique si attendue pour Fidelio.
Beethoven, Fidelio [Sam Brown/Thomas Dausgaard, Orchestre de chambre suédois, Chœur de la Radio Suédoise Nina Stemme, Michael Weinius, Malin Christensson, John Lundgren, Karl-Magnus Fredriksson, Johan Schinkler, Daniel Johannsen, Philip Sherman, Stefan Nymark]@TCEOPERA pic.twitter.com/IKvkViY5to
— Adalbéron Palatnīk (@adalberon_pala) 28 février 2020