Félicitée Lott, le retour des Lundis Musicaux à l'Athénée
Avec Jessye Norman, Placido Domingo, Teresa Berganza, Janet Baker, Margaret Price, Ruggero Raimondi, Christa Ludwig, Shirley Verrett, Renata Scotto, José van Dam, Peter Schreier, Kiri Te Kanawa, Kurt Moll, Montserrat Caballé, Grace Bumbry, José Carreras, Nicolai Gedda, Edita Gruberova, Gabriel Bacquier, Brigitte Fassbaender, Leo Nucci, Barbara Hendricks, Mirella Freni, Marylin Horne et bien d'autres, Dame Felicity Lott a richement contribué à la légende des Lundis musicaux, plus de 250 récitals offerts entre 1977 et 1989 par Pierre Bergé au Théâtre de Louis Jouvet.
Après y avoir chanté en 1982, 1984 et 1987, Dame Felicity Lott revient raviver la flamme inoubliable de ce cycle ressuscité en 2014. L’occasion pour l'artiste de retracer et narrer sa vie artistique (et pas seulement). Les mélodies au programme ont en effet été choisies dans l'ordre chronologique suivant sa carrière et sa vie, parcourant les styles depuis la légèreté guillerette et libertine jusqu'à Strauss, en passant par le musical. Entre deux chants, ou plutôt dans la continuité naturelle des airs, Felicity Lott raconte (dans son français aussi merveilleux parlé que chanté, comme son anglais, of course, et son allemand, genau) à quelle période elle a abordé tel répertoire puis le suivant, les rencontres ainsi suscitées, les nœuds formés. L'artiste, dans ce récital aux passionnantes et jubilatoires allures de spectacle-mémoires, remonte jusqu'aux premières mélodies de sa prime jeunesse, narre pour le plus grand plaisir du public qui n'est que rires et soupirs d'aise, son arrivée en France comme assistante d'anglais dans la région de Grenoble, puis son retour en Angleterre et son amour pour un pianiste ("qui n'aimait pas les femmes, mais je ne le savais pas"), enchaîne sur la Shéhérazade de Ravel qui l'avait tant émue au disque avec Crespin, et poursuit ainsi le fil de sa vie, sur le savant filin de sa voix, jusqu'aux mémorables Offenbach (qu'elle incarnait avec Pelly et Minkowski dans une période dorée) en passant par la mélodie française et Strauss, avant ses adieux à la scène.
Certes le reste de l'ambitus bouge, comme le vibrato et le soutien, les lignes vocales sont d'abord très courtes, la voix est à parts égales placée et voilée, l'aigu tubé et capitonné est capiteux, mais les lentes valses prennent progressivement la mesure du phrasé, et surtout de la nostalgie, toujours dans la vitalité. Les médiums se relèvent alors gracieux, nobles toujours, même quand les accents de Titi parisien offerts par cette amoureuse de la France durcissent et aiguisent les phrasés vers quelques notes détimbrées. Certes, mais le métier est implacable et constant, l'incident vocal semble impossible à cette voix qui reste juste, jusque dans les sons feulés ou glissés, le tout sans l'appui d'aucun texte ni partition (sans oubli, aussi).
Revenant sur ces planches et devant cette assistance d'emblée conquise, le triomphe était acquis d'avance à Felicity mais la prestation le confirme. D'autant qu'elle ne cesse de remercier son public, ce lieu et cette institution des Lundis musicaux de l'Athénée, là même où elle put expérimenter des choix de répertoire décisifs pour sa carrière. Taquine comme toujours, elle annonce que les bis sont déjà dans le programme (qui contient en effet pas moins de 20 morceaux), mais la gratitude et les acclamations du public qui l'accompagnent sans discontinuer la mènent à en offrir deux autres. Après avoir rendu hommage à un spectacle récemment présenté sur ces planches, Yes!, en renversant l'assistance et littéralement la situation de cet opus (c'est ici l'anglaise Felicity qui chante l'ingénue française ne connaissant qu'un mot d'anglais : elle dit Yes! au public, le public dit Felicity oh si !), les adieux se font à l'image de ce récital et de cette carrière : dans le rire ("J'ai deux amants, c'est beaucoup mieux !") et sans craindre une part de tristesse ("Adieu, les amis, adieu, bonsoir ! On va souffler les chandelles"), mais toujours avec le sourire, d'une Nostalgie Vitaliste.
Felicity, merci.