L'Élixir d'amour à Toulouse : baptême anticipé pour Kévin Amiel
Otar Jorjikia devait initialement chanter le rôle de Nemorino ce soir de première mais le public apprend au lever de rideau que, souffrant, il ne peut s'acquitter de cette tâche. C'est donc Kévin Amiel (ici en interview), présent dans la deuxième distribution, qui accepte de le remplacer et alors même qu'il interprète le rôle le lendemain soir.
Force est de constater que le ténor toulousain ne fait qu'une bouchée de sa prise de rôle anticipée. Dès sa première intervention le timbre séduit par sa jeunesse et ses couleurs solaires. La voix est ronde, projetée avec aisance et laisserait regretter tout au plus certaines notes graves un peu engorgées et certains sons dans le passage légèrement nasalisés. Mais la ligne de chant est précise, intelligemment ciselée, et bien souvent le chant déploie un legato généreux et émouvant, capable de grandes nuances pour mieux définir les émotions du personnage. L'acteur quant à lui est d'une spontanéité idéale dans le rôle d'un ingénu. Outre une aisance physique manifeste (pirouettes, roues), l'artiste dépeint avec soin le jeune homme naïf et plein de rêves, dont la simplicité ne rime pas forcément avec bêtise (quoique, si nécessaire...).
À ses côtés, Vannina Santoni offre une Adina qui se hisse aux côtés de ce Nemorino avec aisance. Si la voix apparaît parfois moins nette dans son émission, notamment dans le haut médium qui peut sembler un peu large, le timbre velouté charme immédiatement par sa clarté cristalline. Les lignes parfois un peu dures, séduisent grâce aux choix artistiques que la grande musicalité de l'interprète rendent touchants. De plus, la soprano est elle aussi une excellente actrice. Sans jamais minauder, elle donne à voir une jeune femme dilettante, qui oscille entre passion (lecture, amour) et ennui (ferme, solitude), rêve et réalité, avec un charisme dont elle se joue en permanence et qui la rend attachante.
Sergio Vitale dans le rôle de Belcore est drôle sans jamais forcer le trait. La voix un peu blanche au début prend peu à peu les couleurs militaires du caractère, donnant à voir un sergent intransigeant et mesquin surtout amoureux de lui-même. Si les vocalises sont souvent savonnées pour le théâtre, et parfois au détriment d'une musicalité qui aurait été bienvenue, le baryton romain offre un chant généreux aux aigus percutants.
Le baryton-basse Marc Barrard propose un Dulcamara qui échappe lui aussi à la caricature. D'un naturel comique immédiat, il donne un réel plaisir à travers ses déambulations scéniques, tant par l'humour de sa prestation que par les qualités de son chant. La diction est très soignée dans un rôle éloquent et bavard, la voix émise au gré des emportements du personnage mais sans jamais négliger le phrasé ni la musique.
Céline Laborie, enfin, tire plus qu'honorablement son épingle du jeu dans le rôle discret de Giannetta. La voix, fruitée et homogène, se déploie avec une simplicité apparente et la partition lui permet de ponctuer certains ensembles par des aigus lumineux. L'actrice est dévouée et parvient à attirer l'attention sur son personnage effacé.
Dans la fosse, Sesto Quatrini impulse à l'Orchestre national du Capitole une énergie communicative qui, sans jamais diminuer, évolue avec attention au fur et à mesure des ambiances relatées. Cette lecture nerveuse permet en outre de mettre en valeur la richesse théâtrale des péripéties et de l'intrigue, faisant du chanteur un personnage avant tout. Le chœur de l'institution donne à entendre un son commun sain et puissant dont on apprécie la palette expressive. Très impliqué dans la mise en scène, il fait montre d'une réactivité scénique enthousiasmante.
La mise en scène réunit les éléments essentiels d'un spectacle efficace : une direction d'acteur et un emploi intelligent de l'espace. Si les décors et les costumes peuvent parfois sembler un peu ternes malgré leur élégance (dans des bruns-gris), et si le spectateur reste interdit devant le sens de ce hublot gigantesque du dernier acte (par lequel Dulcamara s'échappe en "quittant le navire"), l'ensemble proposé n'est pas sans charme, notamment les tableaux statiques qui ouvrent les actes ainsi que le jeu perpétuel et amusant avec la profondeur du plateau. La force du travail d'Arnaud Bernard réside toutefois dans une direction d'acteurs précise et souvent jouissive où se ressent une complicité partagée par tous les protagonistes du spectacle.
En témoignent les applaudissements renouvelés et enthousiastes qui accueillent les artistes à la fin de la représentation. Un succès retrouvé le lendemain par une distribution renouvelée.