I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky, au Théâtre de la Croix-Rousse
Si le catalogue de John Adams compte des opéras dans la tradition du genre, tels que Nixon en Chine ou Docteur Atomic par exemple, le compositeur américain a aussi expérimenté des formes plus mixtes, à l'instar du songplay, ou opéra pop, I was looking at the ceiling and then I saw the sky (Je fixais le plafond et puis j'ai vu le ciel), écrit après le tremblement de terre de Los Angeles en 1994 à partir de témoignages des victimes, et créé en 1995. Comme dans la gravure discographique, l’œuvre est généralement condensée en une heure dix environ. Pourtant, l'intégralité de la partition approche les deux heures, et c'est cette version, à peine émondée par quelques coupures très menues, et rarement montée en France, qui est ici présentée, avec les solistes du Studio de l'Opéra de Lyon.
Au Théâtre de la Croix-Rousse, Eugen Jebeleanu tire parti de la construction même de la pièce, faite de numéros dont l'enchaînement n'est pas définitivement figé, pour tisser une narration efficace qui prolonge les relations entre les sept protagonistes esquissées par le livret de June Jordan.
L'ensemble des saynètes est inscrit dans un dispositif unique de cellules qui imite la structure d'une maison ou d'un immeuble. Selon une optimalisation de l'utilisation d'un espace sans fosse, l'ensemble orchestral, au carrefour des répertoires, avec d'évidentes colorations jazz et rock, occupe le rez-de-chaussée. À l'avant du plateau, côté jardin, un prie-dieu et un immense crucifix en diodes électroluminescentes, et côté cour, un pupitre de plaidoirie devant un drapeau à la bannière étoilée, résument les deux tribunaux de la nation étasunienne, la loi et la religion.
Les trois pièces de l'étage font passer, de gauche à droite, d'un living avec plantes vertes à la blancheur clinique d'une prison en traversant une chambre à la décoration de bonbonnière qui s'acoquine avec le kitsch (à l'occasion, homo-érotique de Pierre et Gilles) : c'est là que se déroulent les ébats du prêtre ou que le policier se masturbe devant un tableau représentant un nu noir baigné de fleurs. Ce condensé de rêve américain ne recherche pas pour autant la reconstitution exacte et s'autorise quelques clins d'œil francophones, à l'exemple de la cabine téléphonique bleue que le passant des années 1990 pouvait croiser à chaque coin de rue.
Dans une dramaturgie qui n'évite pas toujours les bons sentiments, les solistes du Studio de l'Opéra de Lyon équilibrent la précision de la diction avec un lyrisme qui se conjugue à l'engagement théâtral de la comédie musicale. L'ensemble rend justice à la nature hybride dans l'écriture de l'ouvrage.
Avec un lumineux et aéré baryton-martin, Alban Zachary Legos donne une indéniable aura à Dewain, jeune gangster repenti à l'orgueil blessé, non exempt de tendresse dans la ligne. En Mike, policier gay à l'homophobie intériorisée, Aaron O'Hare contraste par une émission moins enveloppante, dont la franchise répond à la raideur morale du personnage que nargue le Rick, avocat d'origine vietnamienne, grimé par la production en veste à paillettes et talons aiguilles, aux confins du cliché transgenre. La clarté du ténor Biao Li qui se déploie dans le souffle d'une harangue empreinte de vaillance et de défi, façonne de manière reconnaissable ce défenseur des opprimés, aux côtés de David, prêtre baptiste aux appétits amoureux conséquents confié à Christian Joel, dont la tessiture haute n'est jamais sollicitée dans la virtuosité gratuite.
Les trois rôles féminins se complètent, sans se confondre –bien au contraire. Louise Kuyvenhoven réserve une mordante Tiffany, dont la pâte mate est scandée d'accents vigoureux. Avec une voix homogène, Clémence Poussin se montre touchante en Consuelo, migrante salvadorienne sur laquelle ploie un destin adverse. Mais c'est sans doute la Leila d'Axelle Fanyo qui se distingue par la rondeur généreuse d'un timbre riche d'harmoniques, et une saisissante faconde vocale. Sa grande scène offre à l'interne de médecine dans une clinique d'avortement une vibrante tribune en faveur de la justice sociale, et qui compte parmi les numéros les plus authentiquement lyriques de la partition.
À la tête d'un ensemble instrumental entre pop et jazz, Vincent Renaud accompagne la vitalité d'un spectacle sincèrement applaudi par le public lyonnais.