Jean-François Borras étincelle sur la scène du Clermont Auvergne Opéra
Quatorze ans après sa dernière venue à Clermont-Ferrand (en Pedrillo dans L’Enlèvement au Sérail), où il avait alors affiché ses promesses d’avenir, c’est en artiste à la réputation désormais affirmée que le ténor français effectue son retour en Auvergne. De Vienne à Munich, de Vérone au Covent Garden, de Paris à New York (où il se révéla en 2014 en remplaçant Jonas Kaufmann en Werther), l’ancien élève de l’académie Rainier III de Monaco (où il fut récemment Faust de La Damnation) a tracé son chemin depuis longtemps dans l’hexagone comme à l’international, et c’est en vedette qu’il se présente sur la scène clermontoise. Les attentes vont avec.
Et, après la venue remarquée la saison dernière de la jeune soprano Pretty Yende, les espoirs du public local ne sont pas déçus en ce nouveau soir de récital, tant le ténor y affiche une forme épatante, faisant un usage éclatant et généreux de ses imposants moyens vocaux. Dans ce qui constitue plus qu’un tour de chauffe, c’est d’abord un répertoire de chansons poétiques et mélodies populaires qui est mis à l’honneur, offrant de redécouvrir des pièces peu connues du grand public. C’est le cas de ces Chansons en dialecte vénitien de Reynaldo Hahn, dans lesquelles Jean-François Borras se mue en poète aussi sensible qu’enjoué, tissant le fil de ces charmantes mélodies avec un même souci de la couleur et de la noblesse de chant. Tout est énoncé avec soin (en italien), chaque strophe est chantée avec entrain, et le spectateur s’imagine presque, en effet, dans quelque gondole à s’entendre conter l’âme vénitienne par une voix au timbre clair et pur, et à la ligne de chant incessamment ardente.
Le charme (vocal) et le magnétisme (scénique) fonctionnent aussi à plein dans la suite d’une première partie offrant à l’artiste de chanter dans sa langue natale. D’abord en convoquant Franz Liszt et deux de ses mélodies composées sur des textes de Victor Hugo, puis Ruggero Leoncavallo et ses sérénades napolitaine et française, la seconde revisitant au passage le célèbre refrain “Au clair de la lune”, avec un Pierrot devenu “gentil” plutôt qu’“ami”. Autant de pièces à la rythmique entraînante, qui permettent au ténor français, même dans un style plus populaire que profondément lyrique, de monter peu à peu en régime dans la projection d’un instrument vocal ample et puissant.
Une voix toujours pénétrante
Après un court entr’acte, la seconde partie du récital est entièrement dédiée à un répertoire d’opéra dans lequel Jean-François Borras trouve logiquement des aises plus expressives. Le retour sur scène se fait d’ailleurs sans pupitre ni partitions, et les cheveux entièrement relâchés, comme l’annonce d’une performance décoiffante à venir. Elle l’est pour le moins, tant le ténor trouve un plein épanouissement vocal dans des rôles verdiens, en incarnant successivement le Duc de Mantoue (“Questa o quella”, Rigoletto) puis Oronte (“La mia Letizia Infondere”, I Lombardi), avant d’aborder Boito et son Mefistofele (“Giunto sul passo estremo”) dans une interprétation heureusement moins acrobatique que celle vécue à Orange à l’été 2018.
En sus de l’incarnation réjouissante de ces rôles “italiens”, l’artiste se glisse avec un égal bonheur dans des rôles français dont il a depuis longtemps pris la mesure, tel le Chevalier des Grieux de Manon, ou encore le Roméo de Gounod. Là aussi, l’économie de moyens n’est pas de rigueur, la voix ne cesse jamais d’être pénétrante, et les airs se succèdent avec une même noblesse de chant et d'ardeur de timbre sur la largeur de la tessiture. Mais une ardeur et des dispositions vocales que le ténor a parfois du mal à contenir véritablement et, dans ce cadre intimiste qu’offre la salle clermontoise, la beauté et la noblesse du timbre ont parfois tendance à s’effacer devant une projection semblant soudain surpuissante (au détriment de quelques passages où le mezza voce n’est sans doute pas assez appuyé, comme dans l’air du Rêve de Des Grieux).
Mais difficile pour l'auditoire de reprocher à ce ténor ses moyens, d’autant la musicalité reste présente, tout comme la tenue de souffle, comme dans l’incontournable air de Werther (pour lequel le ténor avait été ovationné à Vichy à l’été 2018) dont l’artiste gratifie le public en fin de concert. Un public conquis et qui en redemande logiquement, obtenant de son hôte du soir un “Amor ti vieta” (Fedora de Giordano) puis un “Recondita armonia” (Tosca) interprétés avec tout l’élan et la passion requises. Une ovation adressée très largement aussi au pianiste Antoine Palloc, accompagnateur et musicien accompli, sachant restituer à renfort de variations de nuances et de tempi chacune des atmosphères propres aux airs et mélodies interprétées, ici l’élan et la fougue amoureuse, là le désespoir et la nostalgie. De quoi rentrer en parfaite symbiose avec son compère d’un soir.
Vous pouvez justement réserver vos places pour applaudir Jean-François Borras : dans Roméo et Juliette de Charles Gounod au Théâtre des Champs-Élysées et Méphistophélès d'Arrigo Boito au Capitole de Toulouse