Salon de la Duchesse du Maine par les Arts Florissants à la Philharmonie de Paris
C’est
avec une petite formation (une basse continue, deux violons, une
flûte et deux solistes) que Les Arts Florissants dirigés depuis le
clavecin Ruckers/Taskin de 1646 par un William Christie enjoué et
incisif célèbrent les cantates vocales ainsi que deux pièces
instrumentales de trois compositeurs français du tournant des XVIIème et
XVIIIème siècles : Nicolas Bernier, Jean-Joseph Mouret et Louis-Nicolas Clérambault.
Louise Bénédicte de Bourbon, petite-fille de Louis II de Bourbon et ‘mal’ mariée avec Louis Auguste de Bourbon, bâtard de Louis XIV et de Mme de Montespan, était un esprit libre de son époque, et organisa dans son Château de Sceaux des fêtes impressionnantes comme les Grandes Nuits de Sceaux en 1714 et 1715 mais aussi des salons musicaux plus modestes comme celui que Les Arts Florissants proposent ce soir à la Cité de la Musique.
Les voix sont particulièrement sollicitées par ce programme raffiné et élégant, avec pas moins de quatre cantates et un air à boire. Emmanuelle de Negri est rompue à ce genre d’exercice. La soprano française, au timbre rond, charnu et à la souplesse vocale toujours soignée fait preuve d' éloquence tout au long de la soirée. Si elle privilégie parfois la qualité du timbre et du son aux dépens de la diction pure, ses attaques sont toujours douces et ses phrasés évocateurs, avec des guirlandes vocalisantes joliment menées, notamment dans la cantate L’amour piqué par une abeille de Clérambault où elle s’abandonne à des sons languissants et presque érotiques.
Le baryton Thomas Dolié contraste fortement avec sa partenaire puisqu’il déploie un timbre très sombre, presque noir dans les parties plus belliqueuses de la cantate L’amour vainqueur de Bernier. Son chant très dans le corps reste toujours expressif et soutenu, avec un souci de la diction marqué en permanence. Alors qu’il trouve toujours un équilibre minutieux avec l’effectif instrumental, c’est lors des duos avec la soprano qu’il couvre parfois de son large timbre la voix pourtant ronde d’Emmanuelle de Negri. Mais leur complicité et leur sensualité, notamment dans les moments les plus lyriques de la cantate Diane et Endymion de Bernier ("O nuit, c’est à tes voiles sombres que je dois mes moments heureux") balaye très vite ce léger bémol. Les deux solistes se laissent même aller à une brève scène de théâtre lors de la chanson à boire de Mouret ("Prends la pinte Claudeine") remisant la beauté vocale pour camper des personnages d’époux ivrogne et de son épouse compréhensive, hauts en couleur.
L’effectif instrumental est certes réduit mais déploie des trésors de virtuosité et de précision notamment dans les parties enlevées de ce programme articulé autour de l’Amour et de la Vigne. La basse continue (clavecin, viole de gambe et théorbe) au son toujours fluide, impeccablement articulé, respire avec les deux chanteurs solistes de manière aérée et apaisée, tandis que les instrumentistes tenant la ligne mélodique s’amusent follement des traits éclatants dans la Sarabande de Mouret ou dans sa Chaconne.
C’est debout que le public des Arts Florissants, très démonstratif dans la proximité de l’Amphithéâtre, salue les bis qui concluent cette soirée autour de Forêts paisibles, final des Indes Galantes de Rameau qui suscite un murmure de ravissement parmi l’auditoire, esquissé sur la pointe des doigts par un William Christie ludique et sourire aux lèvres, tout revigoré par la fraîcheur et la grâce de ce programme de salon délicieusement Ancien Régime.