Magnificat, Au nom du père et du fils Bach aux Champs-Élysées
Les deux versions du Magnificat (cantique chanté par la Vierge Marie après
l’Annonciation) révèlent une filiation autant musicale que spirituelle. En
hommage à son père, Carl Philipp Emanuel emprunte le même effectif, la même tonalité
de ré majeur, une fugue conclusive monumentale et certains figuralismes (phrases
descendantes sur deposuit traduisant la
destruction des puissants). Cependant, les deux œuvres révèlent d’importants
contrastes dans l’écriture et la sensibilité.
Jean-Sébastien Bach célèbre la puissance divine par trois chœurs grandioses avec trompettes et timbales autour desquels les solistes rendent grâce à la miséricorde de Dieu dans des arias très variés. Carl Philipp Emanuel, lui, livre une œuvre de grand format (près d’une heure de musique) dans une esthétique influencée par le style italien où sensibilité et flamboyance cohabitent.
L’interprétation de ces deux Magnificat(s) est confiée ce soir à des interprètes d’outre-Rhin, spécialistes de Bach. Le chœur Gaechinger Cantorey a enregistré l’intégrale de la musique vocale du Cantor et l’orchestre baroque du même nom fut créé par Hans-Christoph Rademann lors de l’Académie internationale Bach de Stuttgart qu’il dirige depuis 2013. Ce dernier offre une interprétation vivante et contrastée, portée sur l’équilibre et la clarté du discours. Dans cette œuvre de Jean-Sébastien Bach, le chef module le rutilant son d’ensemble agrémenté de trompettes afin de laisser filtrer le chant des traversos (flûtes anciennes) et les départs du chœur. S’appuyant sur une phalange attentive et virtuose, il met en valeur la grande variété de l’œuvre et les tutti étincelants font place à des pages suaves (douceur du hautbois d’amour dans Quia respexit) pouvant se teinter d’un certain humour (le violoncelle et le basson s’unissent pour le continuo de Quia fecit mihi magna dans un phrasé exagérément marqué).
Dans le Magnificat du fils, les trompettes et les cors offrent une stéréophonie de cuivres équilibrée. Le chef indique l’ampleur du phrasé à l’aide de larges mouvements des bras, le relançant afin de vivifier le flot musical. Hans-Christoph Rademann tire également le meilleur du chœur Gaechinger Cantorey, impressionnant de précision, d’homogénéité et de justesse, acclamé à la fin du concert.
La soprano Miriam Feuersinger (dont le nom signifie littéralement chanteuse de feu) prête sa voix à celle de Marie dans le Quia respexit des deux œuvres avec beaucoup de tendresse. Elle traduit au plus près l’humilité de la Vierge avec des débuts de son délicats (humilitatem), une voix peu vibrée mais cependant ronde et un phrasé gracieux se perdant toutefois dans le grave de sa tessiture peu sonore.
Marie Henriette Reinhold, mezzo-soprano, interprète les longues phrases vocalisantes d’Et exultavit spiritus meus sans sourciller. Elle évoque les enfants d’Israël (suscepit Israel) avec simplicité, sa voix demeurant résonante sur toute la tessiture. Dans un dialogue tout en retenue avec Patrick Grahl (ténor), elle évoque la miséricorde du Tout Puissant et de pair avec lui elle vocalise aisément, leurs voix se tuilant délicatement. Le ténor répond au détaché de l’orchestre avec des vocalises très précises dans une grande homogénéité vocale, manquant cependant d’un certain éclat dans la projection. Le tempo lent (du Quia fecit mihi magna) permet au baryton Markus Eiche de détacher fortement chaque note et de faire entendre une voix aux nobles résonances. Sa puissance vocale apparaît ensuite, le galop des cordes entraînant l’extériorisation de sa voix et l’affirmation de vocalises bien articulées.
Les musiciens ovationnés bissent le dernier chœur de l’œuvre du Cantor qui, sur les paroles Sicut erat in principio (Comme il était au commencement), reprend la musique du chœur initial, donnant ainsi au public une certaine idée de l’éternité.