La Création selon Haydn par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Seulement quelques jours avant la fête de la Nativité de Jésus,
« la capitale européenne » et « la capitale
de Noël » (mondialement connue pour ses marchés festifs), Strasbourg propose la « nativité (musicale) du
monde » d’après Joseph Haydn, l'un des piliers de l’école
viennoise de l’époque classique. La salle Érasme du Palais de la musique et des congrès accueille donc ses résidents, l’Orchestre et Chœur Philharmonique de Strasbourg, pour un concert d’exception
qui réunit un effectif massif. Ce rassemblement
de forces artistiques franco-germaniques (interprètes venant de France, Allemagne,
Autriche et Suisse) est également porteur d’un symbolisme
politique avec cette Création d'un (nouveau) monde, trente ans
après la chute du Mur de Berlin, et justement dans ce haut lieu de
l’Europe réunie.
Ce mélange alpestre parmi les solistes soutient aussi la prononciation savante et expressive de l’allemand, soulignée par une haute intensité vocale, presque constante et universelle (palpable même dans les piani). La soprano suisse Léonie Renaud interprète ce soir les rôles de l’Archange Gabriel et de la première femme sur Terre, Ève. Comme chacun de ses collègues, elle déploie son art vocal tant en récitatifs qu’en airs, mettant son élasticité sonore au service de la virtuosité. De ce fait, les vocalises sont fluides et sans encombre, leur exploration arrive à son éclat dans les cimes de sa tessiture où la soprano peut pleinement déployer son instrument de colorature. Toutefois, la voix paraît rocailleuse dans les suraigus où la justesse faiblit et les tons deviennent perçants, telle une lame tranchante. Bien que la voix s’avère plutôt légère, son volume reste solide tout au long de la soirée et sa ligne vibrée retrouve un phrasé très mélodieux qui se démarque particulièrement dans les airs solistes.
Bernard Richter (ténor) en Uriel illumine la salle par son timbre
solaire et sa voix puissante avec une projection droite qui annonce la
naissance du premier jour (le ciel et la terre, l’eau et la
lumière). Bien que l’intonation vacille quelque peu lors des
attaques, il reste très attentif au jeu et chant de ses collègues
instrumentistes ou collègues chanteurs, offrant ainsi un ensemble
harmonieux et stable tant sur le plan rythmique que mélodique. Ses
inflexions vocales sont particulièrement expressives à l’instar
du ténor narrateur dans la tradition germanique religieuse des
oratorios et passions.
Son collègue baryton Christoph Filler montre deux faces ce soir. Dans la première partie, il dévoile un chant peu convaincu, ne maîtrisant pas le vibrato ni l'intonation. La voix froide et métallique propose des sons plutôt aérés, mais qui retrouvent quelquefois leur ancrage mélodique. L’assise manque d’appui et reste souvent couverte par l’orchestre. Cependant, après l’entracte, sa prestation gagne en assurance, le son est plus coloré et plus fort, notamment grâce à l’emploi de sa voix bien poitrinée jusque dans les registres supérieurs. Les passages intimistes sans soutien instrumental ou avec une configuration orchestrale réduite, lui permettent de déployer l'assurance soliste, tendre d'éclats.
Le chef et claveciniste, Theodor Guschlbauer tient fermement l’Orchestre et Chœur Philharmonique de Strasbourg, deux ensembles exprimant un haut degré de complémentarité et de jonction. Côté orchestre, les cordes dominent par un jeu déterminé qui est porteur, à la fois, de la ligne mélodique et de la polyphonie d’accompagnement. Sur ce fond s’appuient les vents, notamment les bois qui apportent la couleur verdoyante des sentiments pastoraux (La Création de la nature avec ses arbres, eaux et animaux), tandis que les cuivres représentent le piment indispensable des instants solennels et majestueux qui couronnent le travail accompli. En ce qui concerne le Chœur (mixte, à quatre voix), ce sont les sopranos qui cueillent des lauriers du public. Leurs voix juvéniles se distinguent de la masse sonore par des tuttis puissants, leurs vocalises fuguées sont en place. L’échange de lignes entre les pupitres est inégal : l’appui de la section basse n'a pas besoin de forcer tandis que les ténors restent voilés malgré leurs efforts.
L’ensemble des interprètes qui fait l’éruption et l’illumination sonore juste après l’ouverture (« Et la lumière fut »), se rejoint une nouvelle fois pour la clôture de l’oratorio, dans une louange cérémonielle avec cuivres et timbales, rehaussant la couleur de ce moment grandiose, l’Hymne au Créateur. Suite au dernier « Amen », le public éclate en applaudissements et acclame les musiciens, choristes, tout comme le chef et les solistes rappelés à plusieurs reprises.