Jeanne d'Arc de Verdi, secourue par elle-même à La Monnaie
Cette proposition très sentie, sensible et précise nourrit un cycle autour des femmes puissantes et de la « prima donna », au cœur du programme de cette rentrée. Le septième opéra de jeunesse de Verdi, qu'il considéra dans sa correspondance comme son favori, « sans exception et sans doute » se dessine par la finesse de ses émotions, son efficacité redoutable et pourtant comme une évidence, autour du martyre féminin, immaculé et insufflé comme une mission divine et conquérante. Entre le Roi et Dieu, puis son propre père, Jeanne d’Arc se bat derrière cette apparente simplicité du trio et sempiternel triangle narratif. C'est l’hésitation et la complexité des choix de chacun qui influence une richesse musicale, en basculement permanent.
« Il faut pouvoir transcender la critique dramaturgique de cette partition pour en découvrir le génie caché. Les premières œuvres de Verdi sont parfois taxées d’un excès de folklorisme et de personnages stéréotypés. Mais ce n’est pas parce qu’il utilise, ça et là, une mélodie un peu simpliste que sa partition est dénuée de complexité. C’est d’ailleurs dans cette apparente simplicité, cette simplicité presque suspecte, que réside la profondeur des personnages de Verdi » rappelle le maestro Giuliano Carella qui sert l'opus d'une direction passionnée, fulgurante et profonde. La musique se meut avec un impalpable, insidieux classicisme, piqué et vif.
Derrière la difficulté du rôle-titre, la soprano géorgienne Salome Jicia marque un tournant dans sa voix (voire sa carrière), au service d’une interprétation très forte de l’héroïsme féministe. Puissante, fine et affirmée, emplie de doute parfois et de faiblesse pourtant, sa Giovanna convoque une palette vocale et un chromatisme exacerbé qui dénote une très grande compréhension de l’esprit féminin par le compositeur. Au service d’une tragique antinomie, la voix de la soprano se meut avec une fluidité véloce, fine, pure et pourtant langoureuse.
Francesco Meli campe son souverain Charles VII, redoutable, d’une constance vocale assise, puissante et royale. Primo uomo épris de la prima donna, le ténor italien se dessine avec une austérité aristocratique derrière une nonchalance et une apparente simplicité d’interprétation. Les arias Royales codifiées sont imposantes et soutenues pour le chanteur (remplaçant Yvan Ayón Rivas malade). Dimitri Platanias campe de son côté un Giacomo très assis, sûr et d’une profondeur de voix baryton sombre et serrée. Guttural et prononçant un accent italien folklorique, le rôle de Giacomo raisonne avec une grâce sûre, très opératique et enveloppée. Plus riche, dessinée et légèrement en retrait, la basse italienne Carlo Cigni sert le rôle de Talbot avec beaucoup de grâce et une finesse très classique italienne, dramatique, faisant regretter de ne pas l'entendre davantage. Enfin, le jeune ténor belge Maxime Melnik tient le rôle de Delil. L’ancien membre et soliste de l’académie des chœurs de La Monnaie marque un dessin vocal baroque, fin et suave.
D’une distribution assez homogène et intelligente, les chœurs de La Monnaie, riches de voix féminines viennent souligner le dessin de Giovanna, femme esseulée dans cette majorité masculine.