Jules César couronné pour les 40 ans du Festival d’Ambronay
Après le Festival George Enescu à Bucarest et le Théâtre des Champs-Élysées à Paris (voir notre compte-rendu), Les Talens Lyriques débarquent au Festival d’Ambronay avec l’un des plus célèbres opéras baroques, Jules César en Égypte de Georg Friedrich Haendel, à la mesure de la célébration de la 40ème édition du Festival. Cet opéra italien (opera seria) créé à Londres il y a presque trois siècles (en 1724) est également connu pour sa longueur, wagnérienne. Pour le rendre plus économique à l’égard du temps, de l’effectif et du drame, Christophe Rousset choisit une version légèrement abrégée (2 personnages ôtés de la distribution), mais qui pourtant ne dénature pas l’intégrité de l’œuvre.
Cette prépondérance accordée au drame et au texte qui le façonne est nettement audible dès le début et explique d’ailleurs les choix artistiques effectués dans la partition et son interprétation. Si la solennité de l’ouverture et de la clôture de l’opéra émane principalement du son des cors et des timbales, ce sont les cordes qui portent le noyau dramatique de l’œuvre, le continuo et les vents (bois) restant au second plan pour offrir un coloriage sonore. Christophe Rousset, tantôt au pupitre, tantôt au clavecin, opte pour un son plus épais qui sert de fond aux événements politiques et ténébreux de l’intrigue. Les cordes, privilégiant un appui ferme de l’archet, marient la virtuosité galopante et guerrière des héros romains et égyptiens avec la sensibilité amoureuse des deux camps opposés (César et Cléopâtre), ainsi que la tristesse accablante d’une Cornelia brusquement devenue veuve. La basse continue tend attentivement l’oreille vers les interprètes vocaux et les suit de près, notamment dans les vocalises parfois impétueuses, assurant ainsi l’unisson rythmique et la doublure des lignes mélodiques instrumentales et vocales.
Le contre-ténor Christopher Lowrey dans le rôle-titre balaie les mélismes dans un air fort instrumental (Empio, diro, tu sei). Sa voix souple et cristalline contrôle ces passages techniquement complexes et effectués sur un tempo très rapide, englobant de longues phrases dans un seul et long souffle. Il se montre musicalement adroit dans les changements d’humeur de son personnage : les extraits lents, tel l’air funèbre plaignant la disparition inattendue de Pompeo ou l’ensorcellement amoureux par la belle Cléopâtre. Il se distingue également par de longues notes tenues et des effets dynamiques (crescendo et decrescendo en gradation sur une note), ainsi que par l’expressivité élégante qui dévoile sans ambiguïté le sens du texte. En revanche, ses expressions de visages paraissent surjouées et desservent son interprétation.
Karina Gauvin est une Reine Cléopâtre multifacette, une femme souveraine, rusée et aspirant au pouvoir, mais aussi un personnage à la sensibilité aiguë envers la justice et l’amour. La soprano au timbre lumineux manifeste une articulation du texte aussi soignée dans les récitatifs que dans les airs. Travestie en Lydia afin de séduire César, son chant devient très lyrique et sa couleur s’aligne bien avec celle de l’orchestre, tout comme la projection toujours mesurée. La voix est placée pour parcourir les vocalises et attaquer les grands sauts mélodiques, tout en préservant la justesse et la précision du rythme. L’apogée de sa prestation est l’air contemplatif Se pietà, chantée tendrement avec pathos et beaucoup de finesse dans le phrasé.
Le mezzo sombre d’Eve-Maud Hubeaux en Cornelia interprète un personnage rongé par la douleur pour Pompeo et la fureur contre Tolomeo, son assassin. Dans les airs de lamentation, elle impressionne par ses manœuvres dynamiques et sa maîtrise du souffle brillant, notamment dans les piani. Sa santé et polyvalence vocale lui permettent de puissants aigus, ainsi que l’épanouissement du registre pivot. Tout au long du concert, ses phrases restent délicatement tissées, cadencées et colorées de chagrin. Son fils Sesto et partenaire dans la plupart des scènes, est incarné par la mezzo-soprano Ann Hallenberg, qui arbore un instrument clair et dispose d'une technique très solide, notamment dans les vocalises chantées avec conviction. A l'aise dans le registre aigu, elle distille chaque mot intelligiblement. Elle accorde d’ailleurs une grande attention aux ornements baroques, veillant à l’émanation juste du vibrato.
Le couple des « méchants » Égyptiens, Tolomeo (Kacper Szelążek) le Roi d’Égypte et son conseiller Achilla (Ashley Riches), sont attribués aux deux extrémités de la tessiture masculine : au contre-ténor et à la basse. Le premier a une voix radiante et charnue. Il exploite régulièrement le registre central, stable, et s’appuie sur son intonation pour brasser les passages mélismatiques vocalement exigeants, tandis que son jeu d’acteur est très animé et abouti. Ashley Riches possède une grande voix ronde de basse, avec une assise bien étoffée. Il est aussi imposant physiquement que vocalement, la virtuosité étant aussi à son catalogue, avec des mouvements et expressions faciales au service du drame et de la méchanceté de son caractère.
Le concert s’achève peu avant minuit, sur les longs applaudissements de la salle comble et très admirative à l’égard de l’ensemble des interprètes.