Venez chère ombre : la cantate française s’expose à Royaumont
La cantate
française voit le jour au 18ème siècle. L’Encyclopédie
de Diderot et d’Alembert en donne alors une juste définition :
« cantate, petit poème fait pour être mis en musique
contenant le récit d’une action galante ou héroïque ».
Michel Pignolet de Montéclair et Louis-Nicolas Clérambault
demeurent les deux maîtres incontestés du genre, mais de nombreux
autres compositeurs se mesurèrent à ce genre si spécifique. C’est
sur le chemin de cette découverte que Justin Taylor emmène le
public présent au Réfectoire des convers de l’Abbaye de Royaumont. Ce concert passionnant enchaîne donc un ensemble de
cantates, souvent brèves, dites cantatilles -Ne vous réveillez
pas encore de Philippe Courtois- ou au contraire particulièrement
développées -La Bergère de Montéclair-. La cantate de
Louis Antoine Lefebvre -Venez, chère ombre extrait des
Regrets- qui a donné son titre au concert et au CD paru en
février dernier chez Alpha Classics, relève d’une émouvante et
tragique déploration, presque théâtrale, à la perte de l’être
aimé.
Justin Taylor attache une grande importance à la production de ce compositeur oublié dont il étudie activement l’opus. Cet instant privilégié de musique vient se clore avec la magnifique cantate de chambre de Clérambault, Léandre et Hero où Eva Zaïcik brille tout particulièrement. La voix de la jeune mezzo-soprano ne cesse de se développer, franchement épanouie désormais, au registre grave voire profond d’une projection heureuse. Elle sait par ailleurs ornementer et diversifier les couleurs. En bis, le Consort se dirige vers la musique anglaise avec la Mort de Didon extrait du Didon et Enée de Purcell. Eva Zaïcik, qui a déjà chanté le rôle à la scène (et s’y révéla dans nos colonnes), s’y dévoile à nouveau en tenue vocale et en intensité émotionnelle. Le bonheur est aussi celui qui l’entoure, celui d’un ensemble aussi complice que passionné, constitué de jeunes musiciens de premier plan. Justin Taylor, au clavecin, joue ici un instrument superbe du facteur de clavecins Emile Jobin, inauguré en septembre 2018, commande de la Fondation Royaumont et copie d’un instrument d’Antoine Vater conservé au Musée de la Musique de Paris.
En complément des cantates chantées par la cantatrice, le Consort fait entendre des morceaux inspirés de Jean-François Dandrieu, compositeur et claveciniste de la première moitié du 18ème siècle. Une belle entrée en matière, avant de retrouver l’après-midi (et dans notre prochain papier) Rameau et son opéra Platée.