Agrippina de Haendel à Londres, triomphe pour Joyce DiDonato avec Lucy Crowe
Agrippina,
captivant et
dernier
opéra écrit par
Haendel pour
Venise avant d'embarquer pour Londres, propose
un
psychodrame fictif basé sur des personnages historiques connus, et
traversé
par un humour noir et
subtil :
caractéristiques
que Barrie Kosky estompe
largement
en faveur d'un registre plus proche de
Feydeau ou -pour Londres- d'une farce Whitehall, avec des personnages
entrant et sortant en courant, évitant leur rival (et
un personnage quittant
la
scène avec son pantalon aux chevilles).
La
production présente plusieurs des caractéristiques du Kosky récent
: mouvement sans fin de la part des personnages
principaux,
d'autres solistes et des surnuméraires, dans
une distorsion
délibérée du temps musical. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la
scène finale dans laquelle Junon descend pour bénir le mariage
d'Ottone et de Poppea est entièrement découpée et remplacée par
un extrait instrumental de L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato
du compositeur. Ceci
afin d’accompagner
le format
préféré de Barrie Kosky
: la pantomime. L'effet d'ensemble, omniprésent, est
renforcé par une nouvelle boite tournante et bruyante (comme en ce moment La Traviata à Garnier),
la musique finale étant recouverte (comme en ce moment Les Indes galantes à Bastille), ici par des
stores électriques descendants. Le décor éclairé -brutalement
souvent-
par Joachim Klein jette
une lumière cruelle sur des
agressions
sexuelles manifestes, jouées pour rire.
Joyce DiDonato paraît au sommet de son art, ses fioritures sont homogènes sur toute la gamme, et sa voix de tête brille comme un diamant poli, qu’elle chante assise, debout, allongée, exécutant superbement les innombrables gestes exigés à travers une présence constante sur scène. Rivalisant en clinquant (vocal et costumier) avec ce rôle-titre, Lucy Crowe déploie une colorature qui se marie en correspondance avec DiDonato. Les chaînes d'arias élégantes rappellent les origines de l’opus puisant dans la cantate. Les tonalités et couleurs restent variées même lorsque le tempo instrumental devient insoutenable.
Trois des quatre personnages masculins étaient des castrats lors de la création en 1709, ils sont ici chantés par des contre-ténors. Franco Fagioli a de loin le travail le plus difficile et le plus relevé dans le rôle de Nerone (écrit pour Valeriano Pellegrini, qui suivit Haendel à Londres). Son vibrato rapide se confond avec les trilles et couleurs des cadences finales, mais la colorature en milieu de registre est puissante. Iestyn Davies se distingue dans le rôle d'Ottone par des lignes lyriques, incantées, négociant élégamment les exigences techniques. Le troisième, Narciso, est tenu par Eric Jurenas. Fréquemment en duo avec Pallante (la basse Andrea Mastroni), leur duo forme une clé de voûte et d’assise dramatique et sonore vis-à-vis des autres et nombreuses voix aiguës. Leurs ensembles (les plus nombreux) déploient un registre grave impressionnant pour Pallante de Mastroni et des notes aiguës piquantes pour Narciso de Jurenas.
Autre basse, Claudio chanté par Gianluca Buratto a des airs dans chacun des trois actes (notamment le plus connu, Basta che sol tu chieda, recyclé dans Rinaldo lorsque le compositeur arrive à Londres). Les lignes vocales angulaires, les sauts importants et imposants sont relevés par un personnage captivant, sans le registre le plus grave mais avec lyrisme expressif en milieu de registre (bien soutenu par la basse plus légère de José Coca Loza dans le rôle du serviteur Lesbo de Claudio).
Devant son clavecin, semblant hésiter entre jeu et direction, Maxim Emelyanychev alterne de très importants décalages rythmiques, entraînant des défaillances rythmiques de la fosse mais aussi des solos inspirés.