NeoArctic met le c(h)œur à l’ouvrage au Baltic Sea Festival
Les spectateurs assis dans l’obscurité au Orionteatern à Stockholm ne savent pas à quoi s’attendre avec ce NeoArctic, opéra en 12 chants d’une durée de 80 minutes, composé par le letton Krists Auznieks et Andy Stott (producteur britannique de musique dub techno). Conçu en trois parties (Grain, Vapeur et Rayon), le texte a été fourni par Sigurjón Birgir Sigurðsson, connu sous le pseudonyme de Sjón ("vision" en islandais) et arbore une "polyesthétique" qui va des rudiments linguistiques (un jeu combinatoire de mots commençant par "poly-" dans le Chant pour le plastique) à une sereine poésie synesthétique (Chant pour les couleurs), en passant par des hommages à la poussière, l’infini, la respiration, ou l’électricité, pour n’en citer que quatre.
Aux douze chants correspondent
douze paysages sonores et visuels imaginés par Kirsten Dehlholm (mise en scène), réalisés à
travers des vidéos projetées sur une grande toile abaissable, suspendue en demi-cercle ou même sur les tenues
des choristes. Les costumes évoquent le
recyclage, ce thème brûlant d’actualité, d’autant plus que les
grandes taches noires font à la fois penser à des marques de
brûlure, à la réparation d’un pneu crevé ou aux lésions
cutanées, tandis que de façon logique, des jeux de lumières alternent avec des images de catastrophes naturelles.
Depuis sa création en mai 2016, une dizaine de lieux théâtraux (dont le Théâtre de Nîmes) a accueilli cette « performance activiste », comme la dénomme le Baltic Sea Festival. Sigvards Kļava assure la coordination impeccable entre la musique et les bruitages préprogrammés ainsi que les douze membres du Chœur de la Radio Lettone. En termes de prosodie et d’usages de registres vocaux, ce n'est pas seulement la modulation par effets spéciaux des voix qui les rend "sur-naturelles". Leur humanité s’avère instable, voire reconstruite avec des bruits qui, chose surprenante, assument des fonctions de plus en plus musicales, tandis que les voix humaines qui s’assemblent dans des sonorités qui touchent au cluster, des intervalles étroitement groupés (très difficiles à chanter en chœur) pour rendre le signal d’alarme qui accompagne les cartes climatiques visibles lors du Chant pour la température. L’homme et la machine dialoguent et s’influencent ainsi, en accord et en désaccord, en harmonie.
Comme son livret, cet opéra se montre musicalement éclectique. Plutôt dynamisés par les variations rythmiques de l’écriture vocale que par les nuances de volume (livrées au mixage des microphones), les douze choristes parviennent à maîtriser aussi bien le chant simple et sincère à l’unisson que la polyrythmie complexe, en déployant une sonorité claire et collective pour interagir avec les synthétiseurs de la fin des années 1980 (l’âge d’or de la techno). Les compositeurs Stott et Auznieks se sont possiblement inspirés du prélude de L’Or du Rhin, qui fait naître un univers sonore d’une seule note (et qui sera présenté au Baltic Sea Festival en version de concert, le deuxième soir du Festival). Dans ce même esprit, les beats évoluent souvent depuis des rythmes simples vers des motifs de batterie complexes, l’écriture vocale progresse du chant à l’unisson d’une seule note vers la composition en organum –le stade le plus primitif de la polyphonie, pratiqué au Moyen Âge– pour ensuite céder la place à des techniques avant-gardistes.
La proposition artistique est applaudie par la salle, qui est de nouveau plongée dans le noir. Il reste à voir si NeoArctic a réussi à l’éclairer face aux défis de notre temps, mais il lui a sans doute ouvert les yeux et les oreilles.