The Fairy Queen désenchantée au Festival Sinfonia en Périgord
Difficile de mettre en scène l'œuvre telle qu'elle est donnée de nos jours, et qui conserve uniquement les moments musicaux d'une suite de "masks" (semi-opéra, dont on ne joue plus les passages théâtraux), le tout mêlant trois intrigues et du théâtre dans le théâtre (dans la musique). Sébastien d’Hérin (direction musicale) et Caroline Mutel (par ailleurs interprète) ont donc fait le choix d’inventer un personnage (campé par l’acteur Pierre Desmaret) en charge de faire le lien entre les épisodes, sur un mode "léger" et d’assurer une relative continuité narrative en évoquant les événements de la pièce (absente) mais d'une manière absolument littérale et descriptive. Cette mise en espace qui souffre de nombreuses imprécisions et précipitations dans les mouvements et déplacements, présente les différents chanteurs (tous également choristes), introduits par ce récitant, venant tour à tour assumer telle ou telle pièce soliste. L’orchestre est disposé en deux sections sur la gauche et la droite, laissant un espace central un peu en retrait, avec des praticables qui simulent une éminence permettant plusieurs configurations scéniques. Sur le mur du fond, un grand écran, avec un cadre rococo, accueille les images évoquant les possibles décors (décrits par le récitant) de chacun des actes. Le public peut aussi y lire (quand la technique ne rencontre pas de raté), les surtitres traduits de ce qui est chanté.
L’orchestre fait pour sa part son office avec soin, mais avec un effectif un peu juste pour déployer une Odysée, et dont la sur-direction énergique et physique de son chef, Sébastien d’Hérin, tente d’insuffler vie et quelques éclats épars. Le chœur est composé de solistes aux voix inégales qui tentent de s'harmoniser (trouver mêmes justesse, rythmique et couleurs timbrées) dès la plus petite combinaison que représentent les duos mais aussi bien dans les grands effets martiaux qui deviennent bruitistes.
Caroline Mutel rappelle que la caractérisation soprano de type "soubrette" n'interdit nullement la prestance, bien au contraire. Même si son auguste robe rouge la présente comme une Lady que n'est pas son personnage, la noblesse qui s'en dégage est en harmonie avec une voix sonore, étendue, d'un timbre monochrome mais vif, avec une assurance dans les sons filés comme dans les vocalises (sans oublier une prononciation anglaise à l'élisabéthaine).
Hjördis Thébault, sa collègue soprano, a la voix pleine de vie et de couleurs. Franche, elle mène sa ligne sur toute son étendue et notamment vers des graves subtilement mixés (sachant se mêler à l'appui d'une voix de poitrine). Elle vocalise avec assurance et incarnation, comme charmée elle-même de ce qu'elle chante (ce qui la place certes en retrait, comme en-dedans sur le plan scénique). La mezzo-soprano Lien Truong possède une voix déconcertante, par ses dimensions hétérogènes : elle ouvre avec douceur passionnée l'Acte III bien que les aigus restent instables, sur un souffle court faisant penser à une indisposition vocale passagère.
Christophe Baska émet une voix de contre-ténor juvénile voire assez enfantine, (contrastant avec son physique viril). Le format est mesuré, la ligne appliquée. Également léger et clair, sauf (et à l'inverse) dans des attaques aiguës claironnantes (même dans l'air du secret et de l'automne), Mathieu Montagne navigue ici entre ténor et haute-contre. Romain Champion possède une voix de ténor bien projetée, naturelle, mais avec un aigu (mixé) un peu en retrait. Obéissant aux indications de mise en espace, une certaine raideur ou réticence lui interdit une présence incarnée, sauf grâce à la musique : lorsqu'il vocalise avec agilité et défend avec vigueur le début de l’acte II, avant son intervention majeure, celle de Mopsa, rôle travesti où la jeune fille émoustillée se refuse aux baisers de Coridon (Acte III). Le chant est en phase avec le caractère et une voix allégée sans être féminisée pour autant, au contraire d'un jeu outré qui ne rencontre aucun rire dans l'assistance. Ronan Nédelec possède une solide voix de baryton-basse, chaleureuse de timbre, et emplie d'émotion. Enfin, Frédéric Caton assied une solide basse, sonore, déployée, avec un timbre chaleureux, mais surtout une volonté d'incarner ce qu’il chante tant du point de vue vocal que sur le plan scénique. L'effet sur le public est irrésistible dans les scènes du poète ivre aussi bien que dans l’air du Sommeil, de l'Hiver ou de l'Hymen dont les couleurs inspirent le chœur qui lui répond en conclusion de l'œuvre : "See, see I obey", auquel obéit en effet le public, en applaudissant.