La Neuvième Symphonie de Beethoven par le Cercle de l'Harmonie au Festival de La Chaise-Dieu
Se mesurer au sommet légendaire que représente la Neuvième symphonie de Beethoven est en soi un défi colossal pour tout musicien, mais ceux qui ont décidé de la porter cet été 2019 au sommet géographique sur lequel culmine l'abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu semblent avoir voulu transformer ce défi en une suite de gageures, multipliant même les difficultés. En témoigne le choix d'engager un chef quadragénaire, son ensemble qui n'a pas encore 15 ans et de jeunes solistes, interprètes plus habitués à la musique baroque (voire classique) et aux salles de concert qu'aux monuments musicaux romantiques et aux acoustiques cathédrales. En témoignent également des instrumentistes du concert, relatant -en off- le manque (frustrant) de répétitions et de préparation : constat que peuvent également faire les spectateurs en voyant combien chaque musicien est rivé à sa partition et agrippé à son instrument pour tenir le tempo. Le tempo de la partition, mais aussi la cadence infernale imposée par les soubresauts de Jérémie Rhorer dans tous les mouvements (à l'exception du troisième pris excessivement lentement, comme pour compenser). Le chef charge vers l'avant et frappe subitement le sol d'un pas d'escrimeur pour embrocher des temps faibles de sa baguette : ses grands élans et gestes marquent des moments sans accents, alors que la main retombe comme morte derrière son dos pour les fulgurances musicales et qu'il tourne le dos aux contrebasses lorsqu'elles se déchaînent.
De fait, les départs sont désynchronisés entre les pupitres qui prennent eux-mêmes en charge la synchronisation de leurs contre-temps individuels : à en juger par sa direction, Rhorer s'appuie uniquement sur le travail préparatoire et l'indépendance des chefs d'attaque. Les décalages atteignent parfois un demi temps, mais l'ensemble est toutefois emporté par l'énergie fougueuse d'instrumentistes, au premier rang desquels (une fois n'est pas coutume), figurent les contrebassistes qui transforment la Symphonie en un spectacle pyrotechnique d'archets (le bois et le crin volent et fouettent en tous sens). Les immenses sommets orchestraux, les cataractes romantiques alliant à l'ensemble les effets sonores des cuivres et percussions, balayent alors les imprécisions au profit d'une marée de sons.
Il est alors à craindre que les solistes (mais également les choristes), de par leurs profils et pedigrees vocaux, ne puissent pas lutter en termes de volume, dans le dernier mouvement -le seul qui fasse intervenir le chant. Au contraire, Ugo Rabec assume d'emblée la terrible mission confiée à la basse dans cette partition : être le premier à donner de la voix, seul, pour appeler à la fraternité. Noble, processionnel même dans les graves (riches et chauds), le chant contribue ainsi souligner la dimension sacrée de cette œuvre certes symphonique (faite pour la salle de concert, créée au Theater am Kärntnertor de Vienne en 1824), mais à la dimension et à la portée indéniablement spirituelles. Dimension et portée qui sont également acoustiques à La Chaise-Dieu, assumées par les chanteurs sans perdre l'agilité de l'articulation. Le ténor Reinoud van Mechelen martèle le rythme de tout son corps pour rester bien en place, tout en se projetant par de légers élans du corps entier pour bien se faire entendre : il y parvient en claironnant un peu mais en profitant de son placement et de la résonance du lieu pour percer les lignes et les masses, même des tutti (un haut-fait, une très grande surprise assurément pour les spectateurs ayant parcouru sa lyricographie, baroque : vous pouvez d'ailleurs réserver vos places pour l'entendre au TCE dans la Passion selon Saint Matthieu de Bach et Le Couronnement de Poppée de Monteverdi).
La mezzo-soprano Theresa Kronthaler est à ce point soucieuse de combiner son timbre avec celui de la soprano Fabienne Conrad, que ses graves s'atténuent en profondeur et harmoniques, sans pour autant faire disparaître la douceur du phrasé (bienvenue pour apporter une part de délicatesse à la fraternité acclamée dans cet opus). Sa voisine tutoie bien les aigus du registre, mais comme avec une flammèche dans la bouche : l'appareil vocal et les voyelles sont ouvertes au maximum, toutes les consonnes chuintent.
Bien qu'accrochés -eux aussi- à leurs partitions, les choristes (Chœur de chambre Spirito & Chœur régional d'Auvergne) savent déployer les crescendi en volume et intensité de l'Ode à la joie, tout en soutenant le placement des solistes (la grande taille des estrades installées à La Chaise-Dieu aidant à ces équilibres, en plaçant les solistes devant l'orchestre et le tout, bien devant le chœur). L'impact visuel et sonore des lieux et de l'œuvre fait clairement forte impression sur le public qui applaudit vivement les interprètes, saluant aussi une suite de projets romantiques qui semblent tourner autour de Jérémie Rhorer : le Théâtre des Champs-Élysées où le chef a ses habitudes lui confiant une grande diversité d'opus, et La Chaise-Dieu l'ayant déjà invité l'année dernière pour un programme "Beethoven héroïque et sacré" (notre compte-rendu).