Tristan et Isolde par Katharina Wagner à Bayreuth, adieux sur les flots noirs
L'amour est un labyrinthe, telle est l'idée de ce premier acte. Les personnages sont pris au piège de leurs sentiments et ne parviennent pas vraiment à communiquer, comme l'indique ce réseau d'escaliers enchevêtrés qui ne mènent à rien. Même la magie du philtre ne semble pas opérer puisqu'il est répandu symboliquement sur les mains des deux amants, comme un pacte d'amitié qui laisse penser que le sentiment amoureux est soit déjà là, soit déjà enfui. La tension chute à l'acte II, avec cette prison qui vient se substituer à la belle idée du labyrinthe. Tristan et Isolde sont les prisonniers du duo Melot-Marke qui braquent sur eux une batterie de projecteurs. La thématique de la lumière est présentée tantôt comme une menace, tantôt comme une protection lorsque les amants se réfugient sous un abri et suspendent à la voûte des lumignons en forme d'étoiles. Le dernier acte montre un Tristan en prise à des hallucinations dont l'insistante lisibilité tourne à la pédagogie. Insistance également dans cette ultime scène montrant Marke entraînant Isolde avec lui, telle une proie.
Du plateau surgit particulièrement la prestation de Petra Lang dans le rôle d'Isolde. La chanteuse fit ses débuts à Bayreuth en Brangäne dans la production Marthaler et Ortrud dans la production Neuenfels. Avec une voix qui a gagné sensiblement en ampleur et en stabilité, elle peut désormais ambitionner des rôles plus lourds et plus exposés. Après le Ring de Genève en février dernier, elle est annoncée en Brünnhilde dans La Walkyrie du prochain Ring monté à Bayreuth. L'énergie et la véhémence de son incarnation fait oublier les menus écarts dans les changements de registres. Elle tient le rôle à bout de bras en imposant une ligne et une projection qui rivalisent brillamment avec le Tristan charpenté et sonore de Stephen Gould. Le ténor américain entame une cinquième année de présence sur la Colline où il assure également les représentations de Tannhäuser. La projection laisse entendre des couleurs et des éclats qui dessinent à grands traits un personnage aux antipodes de la neurasthénie mélancolique.
Le retour de Georg Zeppenfeld est salué avec plaisir, après une prestation convaincue de bout en bout dans un Roi Marke que la mise en scène campe en pervers névrosé. La couleur et la densité du timbre s’impriment sur tout le plateau, au point d’exiger du Melot de Raimund Nolte une inspiration vocale bien sonore. Christa Mayer possède les secrets de sa Brangäne, avec un art consommé des notes tenues et du phrasé que l’auditoire se réjouit d'entendre en Fricka l'an prochain et qui en attendant, imprime ses couleurs sur le timbre pâle de Greer Grimsley (Kurwenal), à l’émission limitée et aux intonations parfois douteuses. Le Pilote et le Berger sont tenus par un Tansel Akzeybek inspiré et attentif.
L'ensemble est porté à incandescence par la direction de Christian Thielemann, fouillant la partition pour en extraire une lecture avec un allant et un flux dramatique hors du commun. Du ressac des premières scènes à l'attendrissement du duo d'amour et jusqu'à la plénitude du dernier acte, un ambitieux voyage sur les flots noirs de Tristan.